Vigie, mai 2008

 

 

  

AUPRÈS DE L’ENFANT (2)

 

 

Fin d’après-midi, le soleil revient un peu et les bêtes se réchauffent sur la terrasse ; à l’intérieur il fait à peine quatorze degrés. Cri-cri continu des insectes. Vert éclatant des tilleuls. Un peu de poivre dans les narines annonce les allergies d’été. Cet été, je ne le sens pas trop. Pas seulement à cause de l’allergie. Le bureau sous les combles ne sera pas prêt, il faudra poursuivre les travaux de la maison et différer encore un peu plus d’autres travaux déjà trop différés. Comment ne pas s’affaler dans une routine confortable et stérile ? Comment continuer à voir, à vivre vivement ce lieu qui, avec le temps, risque de perdre de son étrangeté ? Le premier printemps, j’en avais tellement rêvé, et le voici qui file, déjà passé, emporté vers l’été (une saison que j’appréhende toujours). L’écriture, décidément, me manque.

Fin du soliloque, il faut laver l’enfant. Pas la plus ingrate des tâches domestiques, tout de même ; il y a pire manière de tourner en rond. (Sa manière à lui : vingt fois le tour de la terrasse à poursuivre, solidement campé derrière sa tondeuse à gazon miniature, le chat affolé et la chienne complaisante.)

 

Pour mémoire, un peu de vocabulaire léonin :

– ankalin : la musique ;

– cocou : le doudou ;

– abou : le camion, la voiture, tout ce qui roule ;

– ado, adou (et variantes) : je veux (emploi fréquent) ;

– caca : l’oiseau, mais aussi le caca et le pipi ;

– bobo : comme en français ;

– i-la : la chienne Patawa (anciennement, papa) ;

– a nounou : l’ours sous toutes ses formes, mais aussi son livre préféré…

 

Parfois quand le soir est tombé et qu’il est l’heure de se coucher, le voici pris d’une frénésie d’activité qui va jusqu’à l’affolement : il sort tous ses jouets, tous ses livres, court d’un bout à l’autre de la chambre comme s’il voulait revivre en quelques instants toute la journée écoulée, ou tout au moins la prolonger encore un peu en manifestant une vitalité exagérée (voyez comme je n’ai pas sommeil !) qui ne l’empêchera pourtant pas de sombrer, après une crise de larmes à fendre le cœur, dans un profond sommeil. L’inquiétude du coucher semble un phénomène assez universel, qui unit dans un même serrement de cœur les peuples dits premiers, mon tout petit enfant, l’oiseau de Buson (« Tout un long jour / mais jamais assez long pour l’oiseau / chantant, chantant… ») et le narrateur de La recherche du temps perdu.

En Guyane on n’avait pas le temps d’y songer. Cela tombait d’un coup, sans crier gare et sans crépuscule, façon cabot perfide qui mord par derrière ou couperet de guillotine. À Maripasoula il n’y avait guère de soirées. On arrivait à la nuit déjà vidés, les yeux brûlants, hébétés, cernés par les bruits du village, écrasés de chaleur.

Deux soirées en tête : celle où, profitant d’une accalmie, je tentai de lire à voix haute quelques pages de ce qui deviendrait Le Grillon de l’automne parce que je n’en pouvais plus de l’éternel été (hurlements des chiens, course-poursuite dans le village en pyjama, puis longue prostration, claquement de dents et nerfs brisés…). Une autre où nous rentrions à grands pas après nous être trop attardés (peur de la malaria) dans la lumière des lampadaires, mille insectes vrombissant alentour… 

 

22 mai 2008

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