LA PORTE DES PINS
(notes du Mont Dondon)
Cinq heures, j’hésite un moment à la fenêtre devant l’averse, puis pars finalement en direction du Champet.
Bruine
limace orange
bouquet de violettes
chant du pouillot
pente raide et glissante
pistes forestières
arbres croulant de mousse
mousse vert glacier
ciel chargé
les Bauges
un rougegorge
deux rougegorges
trois rougegorges qui s’égosillent.
Encadrant le chemin
ces deux pins :
la porte de quoi ?
Troncs coupés
sentinelles
au long de la piste.
À l’approche du torrent
une odeur
parfaitement marine !
Trois chaises et un banc
c’est la cabane du mont Dondon
1425 m.
À l’intérieur, voici dans un cadre la photo jaunie d’un jeune homme souriant, et ces mots : « Lionel, c’est dans ces bois que tu as passé les plus beaux moments de ta courte jeunesse. Face à la maladie, tu as eu un courage exemplaire, aussi aujourd’hui nous te demandons de veiller sur nous. »
Je reste un moment assis là parmi les verres, les casseroles, le bois, les journaux, les toiles d’araignée. Un bon refuge pour revenir peut-être plus tard pour quelques jours de retraite.
À mesure que l’on monte
petits névés
criblés d’aiguilles.
Le vent du col
la rumeur du vent
le long des crêtes dénudées
ombres furtives d’oiseaux noirs
(grives ? corneille ? tétras lyre ?)
Les nuages gris clair
défilent le long du ciel pâle
là
voilà
quelque chose ici se passe
c’est bien rare
les bienfaits du col
une fois encore…
le long hululement du vent
ne fait pas trembler que les arbres
neige
perce-neige
souvenirs d’Écosse et de lande nue
l’orée
la sortie
un rayon de soleil lunaire
deux casse-noix
un accenteur alpin
je suis chez moi !
Forêt noire et nue
qu’éventre
la boule blanche du levant —
entre les troncs noirs
la montagne blanche
martèlement d’un pic
le vent gémit
et soudain surgit un cerf
un grand cerf
suivi par deux autres grands cerfs
puis deux autres encore là dans la neige
je suis au milieu du troupeau de cerfs
je les ai surpris, ils me regardent et puis
détalent en silence
pris dans la danse des bêtes et du vent je m’affole
je quitte le sentier et file à quatre pattes –
ça y est ? je suis passé ?
Mais le paysage est le même et le Champet encore loin. C’est ce vent qui affole, mais qui a fait aussi que les cerfs ne m’ont pas entendu venir. Moment le plus vif.
Torrent
bouquets de gentianes de Koch
montagne d’un vert froid et gris
chemin lumineux
filant dans la neige.
C’est ici, assis parmi les buissons de rhodos sans odeur, après avoir traversé vingt cours d’eau et la tête encore troublée par la rumeur de la fonte, c’est ici qu’il faut songer à faire demi-tour : trop de neige encore, et la pluie qui arrive. Le sommet est encore un peu plus loin, mais la vue est superbe. Tout en bas, le petit mont Aiguille, la Savoyarde — et tout au loin la dent du Chat. À main gauche, Valpelouse.
Un coucou.
Quelques gouttes d’eau.
Retour sous la bruine.
Je rate un embranchement, descends bien trop bas jusqu’à la route du Bourget, remonte à quatre pattes le torrent, comme naguère.
La porte des pins
je sais maintenant
ce qu’elle ouvrait.
24 mai 2008