Vigie, mai 2008

 

 

 

 LA PORTE DES PINS

(notes du Mont Dondon)

 

 

 

Cinq heures, j’hésite un moment à la fenêtre devant l’averse, puis pars finalement en direction du Champet.

 

Bruine

limace orange

bouquet de violettes

chant du pouillot

pente raide et glissante

pistes forestières

arbres croulant de mousse

mousse vert glacier

ciel chargé

les Bauges

un rougegorge

deux rougegorges

trois rougegorges qui s’égosillent.

 

Encadrant le chemin

ces deux pins :

la porte de quoi ?

 

Troncs coupés

sentinelles

au long de la piste.

 

À l’approche du torrent

une odeur

parfaitement marine !

 

Trois chaises et un banc

c’est la cabane du mont Dondon 

1425 m.

 

À l’intérieur, voici dans un cadre la photo jaunie d’un jeune homme souriant, et ces mots : « Lionel, c’est dans ces bois que tu as passé les plus beaux moments de ta courte jeunesse. Face à la maladie, tu as eu un courage exemplaire, aussi aujourd’hui nous te demandons de veiller sur nous. »

Je reste un moment assis là parmi les verres, les casseroles, le bois, les journaux, les toiles d’araignée. Un bon refuge pour revenir peut-être plus tard pour quelques jours de retraite.

 

 

 

À mesure que l’on monte

petits névés

criblés d’aiguilles.

 

Le vent du col

la rumeur du vent

le long des crêtes dénudées

ombres furtives d’oiseaux noirs

(grives ? corneille ? tétras lyre ?)

 

Les nuages gris clair

défilent le long du ciel pâle

voilà

quelque chose ici se passe

c’est bien rare

les bienfaits du col

une fois encore…

 

le long hululement du vent

ne fait pas trembler que les arbres

 

neige

perce-neige

 

souvenirs d’Écosse et de lande nue

 

l’orée

la sortie

 

un rayon de soleil lunaire

deux casse-noix

un accenteur alpin

je suis chez moi !

 

Forêt noire et nue

qu’éventre

la boule blanche du levant —

 

entre les troncs noirs 

la montagne blanche

 

martèlement d’un pic

le vent gémit

et soudain surgit un cerf

un grand cerf 

suivi par deux autres grands cerfs

puis deux autres encore là dans la neige

je suis au milieu du troupeau de cerfs

je les ai surpris, ils me regardent et puis

détalent en silence

 

pris dans la danse des bêtes et du vent je m’affole

je quitte le sentier et file à quatre pattes –

ça y est ? je suis passé ?

 

Mais le paysage est le même et le Champet encore loin. C’est ce vent qui affole, mais qui a fait aussi que les cerfs ne m’ont pas entendu venir. Moment le plus vif.

 

Torrent

bouquets de gentianes de Koch

montagne d’un vert froid et gris

chemin lumineux

filant dans la neige.

 

C’est ici, assis parmi les buissons de rhodos sans odeur, après avoir traversé vingt cours d’eau et la tête encore troublée par la rumeur de la fonte, c’est ici qu’il faut songer à faire demi-tour : trop de neige encore, et la pluie qui arrive. Le sommet est encore un peu plus loin, mais la vue est superbe. Tout en bas, le petit mont Aiguille, la Savoyarde — et tout au loin la dent du Chat. À main gauche, Valpelouse.

 

Un coucou.

Quelques gouttes d’eau.

Retour sous la bruine.

 

Je rate un embranchement, descends bien trop bas jusqu’à la route du Bourget, remonte à quatre pattes le torrent, comme naguère. 

 

La porte des pins

je sais maintenant

ce qu’elle ouvrait.

 

 

24 mai 2008

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