Ciel de neige, sapins impassibles. Dans la cohue colorée des skieurs tu suis une piste toute tracée. Le frottement des skis sur la neige fait un vacarme continu qui couvre tout autre son et te coupe peu à peu de l’extérieur. Par chance tu es piètre skieur : tu ne sais pas prendre les virages, tu t’emmêles dans tes béquilles, tu tombes dans les descentes et cela te ramène à la réalité de cette escapade assez inhabituelle (pour toi l’hiver n’est pas le temps des balades en montagne mais celui du travail en chambre); puis la piste qui serpente à travers la forêt redevient facile et tu t’assoupis à nouveau dans le va-et-vient monotone et bruyant des skis…
Soudain tu t’arrêtes − une nécessité pressante liée à l’abus de thé vert, la lassitude de cette progression mécanique, qu’importe. Tu ôtes les skis, tu les plantes dans la neige et t’éloignes de la piste. Aussitôt le monde apparaît.
Ciel de neige
sapins impassibles
traces
dans le ciel et la neige.
Hors la piste
entendre soudain
les trilles de la mésange bleue
et ce silence peuplé d’appels.
Goutte à goutte
tombent les perles de neige
sous le sapin blanc.
Ce liseré blanc
sur la branche du bouleau
une mésange s’y pose
et tu vois
et tu entends avec
une précision inouïe.
Cela naturellement ne dure qu’un instant. Tu repars, tu chausses à nouveau les skis et l’escapade en un sens se termine dès lors que te voici à nouveau enfermé dans l’effort de ce faux déplacement redevenu routine.
Il y a pourtant – à présent tu le sais, tu le vois – des trouées ici ou là, à chaque changement de lumière, à chaque carrefour où tu t’arrêtes (bousculé par les vrais skieurs plaisamment déguisés en oiseaux tropicaux), quand passe le pic noir ou la gélinotte, quand tu tombes et te relèves hilare et couvert de neige, quand tu t’arrêtes finalement et bois le thé brûlant du thermos.
Tu renverses la tête et tu regardes le ciel dégagé, la ligne pâle qu’y trace un avion et les sapins immobiles.
La Féclaz, 28 janvier 1996
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