Pragondran (1995-2015)

 

 

« C’est comme si…»

 

 

Pragondranoctobre1996

 

 

Il y a, juste au-dessus de Sonnaz, au pied de la Croix du Nivolet, commune de Vérel-Pragondran, un modeste alpage qui forme un replat en pente douce et bien ensoleillée, où quelques troupeaux paissent encore et où l’on trouve parfois en abondance, à la fin de l’été, les grandes lépiotes (les coulemelles) au parfum fort et fumé.

Y venir depuis Chambéry est facile – on passe par Bassens, on remonte la route sinueuse jusqu’au village, puis l’on s’engage sur le petit sentier de calcaire lisse jusqu’aux prés de Pragondran (c’est le pré de Gontran). Ce petit plateau incliné que surmontent les crêtes gris clair du Nivolet, c’est déjà les Bauges, les Bauges en miniature, avec cet équilibre poignant entre douceur et sauvagerie, ouverture et protection, alpage et forêt, activités humaines et inhumaine nature, que j’ai tant apprécié dans le massif voisin des Aravis.

J’aimais m’y promener lorsque j’habitais encore à Chambéry-le-Haut (qu’on n’avait pas rebaptisé les Hauts de Chambéry), chez mes parents, rue du Grand Champ (le champ n’existe plus), dans cet appartement qui reste à jamais le lieu de l’enfance et du rêve.

J’aimais y retourner lorsque, étudiant, je quittais Lyon pour retrouver mes parents et la Savoie avec, à chaque fois, la sensation de pouvoir respirer à nouveau après une longue période d’asphyxie.

Juste avant de partir pour un séjour ultramarin de sept ans, c’est à Pragondran que nous sommes allés faire, ma femme et moi, une ultime et pluvieuse balade (et je revois encore très bien les ombelles géantes et ce chemin perdu sous les frondaisons et l’averse…).

 

*

 

Rassembler ici des notes d’il y a vingt ans c’est remuer des cendres, je sais bien, et refaire vainement la cérémonie de la dispersion. C’est triste, c’est funèbre, cela ne me rendra ni mon enfance, ni ma jeunesse, ni rien. À parcourir à nouveau ces lignes assez insignifiantes me brûle pourtant, ici ou là, la braise d’un souvenir si vif que c’est comme si j’y étais, comme si le temps et l’espace se trouvaient un instant abolis, comme si…

La poésie, après tout, ne prétend à rien d’autre qu’à ce genre d’équivalences trompeuses : « c’est comme si… »

Faisons donc « comme si », et repartons à l’abade du côté de Pragondran (pendant qu’alentour on entend les premiers coups de fusil de l’automne et que l’orage approche…).

 

Le Villard, 13 septembre 2015

 

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