Une porte rouverte (Camargue, mai 2021)

 

 

4.

Ornithophanie amoureuse

 

Camargue0521 Harmonie

 

Mes plus beaux moments d’harmonie amoureuse, je ne les aurai pas vécus attablé à un restaurant, ni en chambre, ni en ville (toutes choses par ailleurs éminemment plaisantes), mais dans la nature, parmi les oiseaux, et presque sans parler (ce qui est un bon antidote pour un soliloqueur). Il y a bien, dans cette scène, le cliché d’un très lent et très beau coucher de soleil, mais la bande-son n’est que cris rauques, bourrasques et silence…

 

Grande paix du soir sur l’étang où s’alignent à perte de vue le rassemblement des flamants. L’eau glisse au ralenti vers la droite du tableau, que les oiseaux continuent à filtrer de leurs becs, marchant parfois à contre-courant comme s’ils cherchaient à résister à la force tranquille du tapis roulant qui les déporte vers la sortie, et l’on voit les longues pattes de ces étranges cyclistes sans vélos sortir de l’eau, tracer dans l’air un petit moulinet précis, puis disparaître.

Au premier plan deux avocettes pêchent : on dirait deux vieilles dames très élégantes occupées à manger de la soupe ou à boire un thé trop chaud. Deux flamants fatigués ont sorti leurs têtes de l’eau pour les enfouir sous leurs ailes en position de repos. Deux mouettes rieuses ponctuent la rumeur rauque de leurs cris aigus, puis disparaissent à leur tour.

Cinq grandes aigrettes percent de la ligne impeccable de leurs becs et de leur vol la ligne de l’horizon.

Les ombres  s’allongent, le vent ébouriffe les flamants, une troupe de sternes remonte le rivage à toute allure pour, sans doute, rejoindre son dortoir.

Soudain quatre avocettes rejoignent le couple du premier plan en émettant de curieux claquements qui sont des cris d’accueil ou de protestation, on ne sait pas trop mais on penche plutôt pour la deuxième solution car, bientôt, les trois couples qui s’étaient mélangés se reforment, chacun de son côté, et se remettent à pêcher, accompagnant leurs gestes répétitifs de petits gloussements.

Harmonie. Chaos. Harmonie. Chaos. Harmonie.

La lumière ternit, le temps fraichit. Un flamant marche lentement, avec un air hautain, n’ouvrant qu’à peine le bec pour coasser.

Tout s’éclaire à nouveau, tout rosit, tout bleuit. Passent les spatules blanches, comme repeintes en rose.

Cela semble sans fin, cela finit pourtant, mais on sent en partant dans le noir qu’on a fait pour des mois provision de beauté, de silence et de vent…

 

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