L’école de musique

 

 

LA MUSIQUE EN ÉTÉ

 

Le couloir d’un moment d’attente que rythme le tic-tac d’un métronome assez semblable à la pulsation de ces machines qui mesurent le battement du cœur. Un piano égrène des notes mal assurées, mélodie répétitive, très pure, candide — et cette fois, c’est un peu du Grand Hôtel des Bains qui, la chaleur aidant, remonte en mémoire. Le couac d’un tuba trébuche dans l’escalier.

Au dehors, chaleur lourde du plein été. Quelques moineaux pépient comme pépient toujours les moineaux, sans rien de mélodieux mais avec une sorte d’obstination — il y en a un surtout qui, juché sur une gouttière, profite de ce que le sous-toit et la cour font caisse de résonance. Puis les appels deviennent sporadiques, finissent par cesser. Quelque chose tombe comme un voile blanc, ou le feuillage d’un tilleul après un coup de vent. Les enfants ont déserté le terrain de jeu. Rares voitures. Échos lointains d’une mobylette et de la leçon de piano. Les martinets traversent ce moment blanc du tranchant noir de leur vol et de leurs cris. L’immeuble gris semble un bateau échoué…

Arrive un agent municipal armé de plots orange et protégé par un gilet jaune fluo. Il dispose au sol, sur la courbe du dos-d’âne, une grande équerre orange, démarre un engin à moteur qui lui permet de projeter de la peinture blanche : il dessine ainsi des triangles blancs qui signalent aux automobilistes la présence du dos d’âne. À chaque pression sur le pistolet à peinture, un « pssh » suivi d’une sorte de râle d’oiseau aquatique. Le vacarme couvre les autres sons, la leçon de piano, les cris des martinets. Il occupe l’espace laissé vacant de cet après-midi d’été.

Un homme ouvre la fenêtre de la grande et vieille demeure qui jouxte l’école de musique : il jette un œil en direction des travaux, lance des restes de cartons par la fenêtre, puis disparaît à l’intérieur dans la pénombre de cette demeure promise à une proche démolition.

Moment d’attente et de presque rien.

Toute une vie faite de ces riens. Ces travaux. Ces va-et-vient. Ces gestes quotidiens. 

Un père attend son enfant, assis sur les marches d’un escalier de secours; où sera-t-il quand son enfant, devenu grand, attendra son propre enfant ? D’autres martinets, identiques en tout point à ceux-là, crieront dans ce même ciel d’été. On aura d’ici là refait mille fois les mêmes cours de piano, de tuba, et repeint les bandes blanches qui signalent aux automobilistes le dos d’âne. Le moineau — qui a repris son poste de cri sur la gouttière du gymnase — sera supplanté par un autre, au même cri. On se plaindra du temps trop chaud. La vieille dame qui sort de la grande maison en s’appuyant d’un côté sur celui que je suppose être son fils et de l’autre sur une béquille, sera morte depuis longtemps. Et puis tout cela insensiblement disparaîtra, comme nuage de beau temps dans le ciel de l’été.

 

La Rochette, mercredi 19 juin 2013

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