La salle en mai

 

Carnets (1)

 

La fin de l’année bientôt. On s’arrache, on s’extirpe peu à peu de ce printemps sombre. Immense masse nuageuse qui forme des châteaux au-dessus des monts et des mots. Mes élèves de troisième aujourd’hui m’ont rendu leur carnet de voyage. Je les lis pendant qu’ils sont occupés à leur dernier devoir.

Il y a là quelque chose de troublant, de poignant. Parfois, malgré la consigne de ne pas transformer en journal intime ce carnet de bord, le pont se fait entre les préoccupations du collège, les textes étudiés, et ce qu’ils ont pu vivre comme deuils, comme souffrances, comme joies intimes tout au long de l’année.

Je vois ainsi la petite T. que j’avais en sixième, cette jeune fille dont je lis le carnet et qui se souvient et qui se projette comme tout un chacun.

Je vois leur bonne entente, leurs amitiés. Je ne me dis même pas que je n’ai pas eu cette chance-là. Certains éprouvent le besoin de noter soigneusement les prénoms de tous leurs camarades et la lecture de ces pages prend soudain un tour bien funèbre. Tout juste si on n’entend pas en écho de chaque prénom : disparu, disparu, disparu. Celle-ci a collé son ancienne carte d’identité, sur laquelle on la voit toute petite, ainsi que quelques dessins de son jeune frère Émir. S. ne veut conserver de son année que les bonnes notes : il a intégré des copies complètes au carnet, copies soigneusement sélectionnées.

Je pars avec ce très gros sac sous le bras, leurs souvenirs serrés dans les pages des carnets. Je leur aurais au moins transmis cela, le temps d’une année peut-être : cette obsession du carnet dans lequel on serre les images, les souvenirs. J’admire au passage la diversité des carnets choisis, dont certains sont si beaux que je prends soudain en horreur les carnets austères que j’utilise habituellement.

 

30/05/13

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