Route, juin 2013

 

 

DES IMAGES

 

 

Village un matin ordinaire de tout début d’été. Nuages. La route en travaux. Les prés qu’on n’a pas pu faucher. Un pinson qui traverse…

Hier, mes parents sont venus passer un court moment à la maison. Des cadeaux, des images de Bretagne. Des chansons. On est parti marcher sous la pluie. Un vol de bouvreuils pivoine. Et puis plus personne. Juste un sac oublié sur le chemin.

Cette voiture qui me serre de trop près, au risque de me percuter si, comme à l’instant, l’arrivée d’un camion me force à freiner, pourquoi son conducteur est-il si pressé ? Est-ce que tout ne va déjà pas assez vite ? Prends au moins le temps de parcourir cette petite route de montagne paisiblement, mon gars. Tout va déjà bien assez vite.

Depuis que Léo lit seul, je me sens décidément déboussolé quand le soir tombe. Voici donc déjà terminée cette période des lectures du soir, des lectures ensemble ? Il n’y aura plus maintenant que des lectures qui séparent ? C’est vraiment allé trop vite.

Sur la route apparaît la silhouette d’un chat pâlichon qui évoque aussitôt le bon vieux chat Chadek. Le temps de cligner des yeux et on ne voit plus rien.

Toujours des images qui renvoient à peu près aux mêmes choses, aux mêmes obsessions, à la même obsession du temps. Peut-être il faudrait se perdre complètement dans les dédales de la mémoire pour en sortir pour de bon. Peut-être c’est ce qu’il faudra faire. Je ne voudrais pas néanmoins que ce genre de manie rétrospective accapare toutes les forces et toutes les faiblesses. Garder quand même un œil sur les lointains à venir, tacher aussi de dégager des perspectives qui ne soient pas entravées par les images du passé. — J’ai conscience en disant cela d’avoir proféré une ânerie. Le passé fait pleinement partie du présent, il est le sol sur lequel on se hisse. Lisant Michaux je suis néanmoins frappé du peu de place laissée à la mémoire, à l’enfance, à l’intimité même. Cela me gêne un peu. Il me semble y avoir chez Michaux quelque chose d’un peu forcé. Me manquent aussi des images du dehors, qui apparaissent ponctuellement dans des poèmes et qui sont toujours justes et touchantes, mais que trop d’intériorité abstraite recouvre. Ainsi aussi de ces « images du monde visionnaire » regardées hier et qui me sont apparues, comme à Michaux lui-même, d’une pauvreté consternante. Quelques secondes d’un film de Tarkovski montrant en gros plan une fougère ou, en plan d’ensemble, un champ de hautes herbes pliées par le vent permettent instantanément d’atteindre la dimension sacrée de l’existence ; ces image-là étaient à peine décoratives.

Et les images qui maintenant défilent le long de la route ? Ces images de sous-bois trempé, de merles suicidaires, de brume et de chevaux ?

 

10 juin 2013

 

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