Route, juin 2013

 

 

 

L’HOMME ET LA NATURE

 

 

 

Remontant la vallée après avoir lu le livre de Valérie Chansigaud L’homme et la nature.

L’homme, ai-je dit, a vécu au plus près de l’animal pendant des millénaires. J’en tirais la conclusion sans doute naïvement optimiste et en tout cas un peu hâtive d’une forme de connivence, d’une nécessaire amitié. Peut-être n’a-t-il plutôt fait qu’accumuler de la rancœur, de la haine, de la peur contre cette nature vue non comme mère mais comme marâtre. La peur et la haine se sont exprimées très tôt, avec des conséquences proportionnelles à la force dont l’homme disposait. L’impact de l’homme sur la nature a semble-t-il été majeur dès le départ. Le rôle joué par la disparition du mammouth n’est pas évident. Il n’y a sur ce point aucun consensus. Mais les faits sont troublants. S’il y a eu relation d’amour, de vénération, de célébration, c’est la haine qui s’est le plus spectaculairement exprimée. 

Je remonte ma vallée au volant de cette voiture de plusieurs centaines de kilos. La route est faite pour moi. On a taillé pour moi les moindres herbes. Tous les arbres que je vois autour de moi ont été choisis par et pour moi. Ce paysage est mien. Il est quadrillé de clôtures qui soulignent encore un peu plus son asservissement. Et malgré cela je peine à me sentir chez moi. J’ai encore besoin d’être rassuré, consolé. Il me faut avec moi un téléphone portable qui me permettrait d’appeler en cas d’imprévu. Imprévu insupportable, intenable, la toujours possible anicroche comme, ce matin, ce pneu totalement dégonflé qui m’a forcé à emprunter la voiture d’Odile. Je traverse ce paysage et soudain je n’y comprends plus rien. Je ne comprends plus comment on en est arrivé là ni pourquoi ni rien. La douceur anthropisée de ma vallée, je la ressens soudain comme une catastrophe. Et je ne recevrai pas autrement les sensations en apparence plus sauvages de la forêt amazonienne, ce grand jardin amérindien. Partout la nature asservie. Et moi, son roi malade. Tout cela donne la nausée. Il faut alors peut-être se tourner vers la grandeur de l’enfant ou la bonté supposée de l’animal domestique. Je repense ici à mon vieux chat Catini, mort depuis quelques années. C’était un chat intelligent, trop intelligent pour un chat. Il se posait trop de questions. Cela le rendait malheureux. Il voulait intervenir dans les querelles de chat. Il voulait faire ce que ses maîtres voulaient, leur faire des cadeaux, garder la maison. C’était un chat instable. Je me cogne la tête contre ces questions qui font de moi un être instable et malheureux.

Pour autant, je n’envie pas le bonheur béat qui s’affiche parfois autour de moi et qui me semble inauthentique. Je ne crois pas trouver dans l’instabilité ici évoquée un plaisir morbide ou une sorte de suffisance, mais peut-être quand même une forme paradoxale de soulagement à entrevoir parfois la réalité, la vérité dans toute leur cruauté. C’est au moins la rançon de la lucidité.

 

3 juin 2013

 

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