Route, juin 2013

 

 

CAUCHEMAR

 

 

Nuit d’orage, propice aux cauchemars. Je quitte la grande maison cernée par les arbres pour surveiller la route. Je sais qu’ils vont venir me prendre. Je sais, je comprends soudain que je ne reverrai plus Nathalie et les enfants. Le camion plein de soldats déboule au bout du chemin. Je crie pour donner l’alerte. On court, on s’enfuit. Je vois un peu plus loin Nathalie qui porte les deux enfants dans ses bras et dont les jambes ne semblent plus toucher terre. Elle avance à toute allure, les yeux fermés, enfermée dans son propre cauchemar. La peur semble donner des forces surhumaines. C’est la nuit. Des fusées éclairantes sont tirées dans le ciel et nous rendent parfaitement visibles. Je sais que c’est là le prélude à un tir d’armes chimiques. Tout est perdu. Le cauchemar me réveille. Il est deux ou trois heures et le vent souffle avec une grande violence à l’extérieur de la maison.

La route est trempée, de beaux dégradés de gris et de bleus dans le ciel encore tourmenté. On laisse à la maison Josette et Victor avec les deux enfants malades. Léo hier à table pleurait. Forte fièvre dans la nuit. Au moins il pourra rester à lire toute la journée comme il en avait envie. 

Dernier jour de classe. J’aime que le temps soit tourmenté en ce dernier jour-là. Un pivert traverse. Je traverse aussi. J’ai traversé l’année. Dernière escale, dernière étape. Une fois encore tout est allé si vite. On tentera de donner à ces derniers moments toute l’intensité possible. Ce n’est pas parce que c’est la fin que c’est forcément plus intense. La volonté même de donner à ce moment une intensité particulière peut faire obstacle. Il faut une fois encore une certaine capacité d’abandon, d’accueil, de disponibilité. Quelques éléments de rituel : la tenue colorée, le grand gong, l’art du haïku. Quelques paroles qu’on espère simples et justes. La parole aussi peut-être obscène, est souvent obscène : lu tantôt en passant au village sur une affiche d’un magazine à sensation « deux bébés brisés comme des jouets ». Le torchon en question fait sa une avec cette sinistre comparaison. Étalage obscène, usage obscène de la comparaison…

Un chat siamois au pelage lilas trottine le long de la route. Il fuit l’obscénité ? Un chat noir au collier rouge, assis en posture de méditation, concentre toute son attention sur une masse de terre. 

 

19 juin 2013

 

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