Vigie, août 2015

 

 

 

SUR LE VERSANT CLAIR DE NOS VIES

 

Août2015lune

 

 

Fraternité à la fenêtre :
un feu clignote dans la nuit…

Jean Vasca, « Fraternité à la fenêtre »

 

 

Deux tout petits points blancs lumineux comme des phares ont percé la ligne de la crête : est-ce que c’est une étoile, dans le ciel totalement dégagé mais encore sans étoiles de ce crépuscule paisible ? Est-ce que c’est un avion ? Moi, je dis que c’est la pleine lune qui pointe ses rayons et je cours à l’étage pour voir – mais rien ne vient et les lumières disparaissent.

Crête sombre, plus rien. Une chauve-souris passe, une chouette chuinte. On devise. On s’étonne de cette presque dernière soirée d’été tellement douce…

Les vacances d’été se terminent demain, et l’on se dit qu’on en a croqué à pleines dents la mangue : maintenant on regarde, pas repu mais pas déçu non plus, le noyau où s’accrochent les ultimes filaments jaunes…

Sonne l’heure des bilans nocturnes, l’heure où l’on ressort son stylo-sextant pour faire encore le point sur l’avancée du voyage, que quelques repères permettent de mesurer.

 

*

 

Le deuil ? Il lance, il noircit les tableaux les plus clairs, il fait sa toile dans tous les angles et dépose partout sa poussière ; mais on s’appuie sur lui pour continuer, on le tient à distance, on s’en fait parfois un allié dont il faut se méfier. On a poursuivi avec lui, contre lui, les travaux commencés l’été dernier, aménageant peu à peu l’ancienne cave bientôt métamorphosée en salon de musique…

Les enfants ? Ils ont grandi, ils ont appris, ils ont été heureux, et nous plus encore de rester auprès d’eux. Tous ensemble nous avons escaladé des crêtes, dévalé des vallons, déambulé dans les rues de Paris. Nous nous sommes éblouis de tableaux, de musiques, de beauté. Un ultime séjour au Grand-Bornand nous a permis de revivre autrement, ultimement, le vieux « bonheur des Aravis » que j’avais pour la première fois goûté il y a presque vingt ans, lors de ce séjour inaugural du Grillon de l’automne par lequel je m’étais assez volontairement engagé sur un versant plus clair de la vie…

Soudain la lune émerge, la lune qui avait bel et bien commencé à briller tout à l’heure puis qui avait roulé le long de la crête avant de s’en détacher et de commencer à monter comme un ballon dans le ciel d’encre. Salut, la belle ! dit l’enfant avant d’aller se coucher… − Hier soir aussi la lune était pleine, et nous applaudissions les frères Bouclier au Bourget-du-Lac pour l’un des plus grands moments de musique qu’il m’ait été donné de vivre : osmose parfaite entre le violon et l’accordéon de concert, que Dimitri Bouclier fait vibrer jusqu’à la transe…

L’accordéon ? J’ai peu joué, pas du tout progressé, parce que mon Bayan est en révision sans doute – mais j’ai tout de même pu participer, auprès de Léo, à la fête du Villard et au festival de Beaufort. Une nouvelle année de musique commencera bientôt ; Léo fera partie de l’orchestre auprès de ces camarades de soufflet dont certaines sont devenues de véritables amies…

La musique, l’amitié agrandissent notre espace.

L’écriture ? J’ai beaucoup écrit, avec intensité et bonheur. Je n’ai pas avancé dans mes projets d’édition, me suis contenté d’accumuler des notes pour des livres sans doute à venir. J’ai rencontré, grâce à mon ami Franck, Jérôme, le graveur dont certaines œuvres ornent d’ores et déjà les pages automnales des Soliloques des sous-bois – et c’est un vieux rêve, celui de retrouver l’atmosphère de l’atelier que j’avais connue et tant aimée naguère avec Laurence Sibille, qui va peut-être, sans doute, se réaliser.

J’ai beaucoup écrit sans projet, réalisant cet autre vieux rêve d’écrire sans projet, au jour le jour, en intégrant pleinement l’écriture à la vie quotidienne. « Toute ma vie, j’écrirai ainsi, sans projet, j’empilerai des feuilles comme les gens autrefois quand ils rangeaient des bûches sous les hangars offerts aux quatre vents… », comme l’écrit l’ami Vernet…

Écrire agrandit notre espace.

Ces griffonnages que j’ai longtemps pratiqués de manière souterraine, en dilettante, trouvent en outre peu à peu des lecteurs, qui m’écrivent à leur tour et à qui j’écris en retour (ce qui est, pour moi, tout nouveau, et une grande source d’étonnement). Grâce aux livres publiés, grâce à cet Atelier à la porte bien ouverte, je sens que l’écriture, désormais, agrandit mon espace.

C’est ce que je voulais.

J’avance, j’avance ? …

 

*

 

C’est la nuit qui avance. On entend ici ou là des voix, des éclats de rire ou de violence – la violence me glace. Puis chacun s’endort, on n’entend plus que le grésillement continu des insectes, le frémissement des arbres et le ronron de mon chat Musique qui s’est blotti dans mes bras, que je rassure et qui me rassure.

Puisse ce grand apaisement de la nuit être un baume sur toutes les blessures, toutes les violences du monde.

Puisse la lune, cette nuit, éclairer le chemin dangereux des fuyards, éviter les noyades, confondre les passeurs assassins.

Puissions-nous tous rouler en douce, et par tous les moyens possibles, sur le versant clair de nos vies.

 

 

30 août 2015

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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