DERRIÈRE LES LIGNES (quelqu’un)
L’écureuil poursuit son ombre et
derrière elle disparaît —
marron clair sur marron sombre
le grimpereau aussi
est maître en disparition.
Rien que des lueurs de mousses
au fond de ce gouffre orné
de silhouettes d’arbres :
le Grand Creux.
Un coq décoche la flèche
du premier cri matinal
et l’on file à travers champs —
la joie de passer ainsi
n’est pas refusée à l’homme.
Aller au hasard
sans insouciance mais pas
sans intensité
au gré des accidents de terrain
Franchir le champ de sa vie
arpenter son territoire
habiter vaille que vaille
le Terrier de la maison
la Grotte de l’art
et le Fort de sa faiblesse
Se battre de jour en jour
pour la seule cause perdue
des saisons
apposer sa main aux troncs
en geste de soumission
Repeupler d’un chant ses ruines
marcher dans les pas des morts
suivre son fantôme
parfois débusquer
un renard, une illusion
Déchiffrer les traces
l’écriture analphabète
des brindilles
Relever les stèles
rouvrir chaque fois l’espace
de la solitude
Entendre le temps qui cogne
cogner contre
cogner avec
cogner comme lui
se cogner
trébucher se relever
aller d’un maintenant l’autre
une main tendu vers l’aube
l’autre vers le soir
et poursuivre en funambule
le long de sa ligne
ça commence ça s’achève
ça commence ça s’achève
ça commence ça s’achève
c’est la fin de la balade
les pruniers plient sous les fruits
c’est le début c’est la fin
tout offert
tout ouvert
dans la maison tout là-haut
les enfants dorment encore
et le vieux chat mort
rêve sous la pierre
ça s’achève ça commence
ça s’achève la tristesse
est un jardin qui attend
les rires d’enfants
ça s’achève ça commence
et l’on suit le mouvement
bientôt les enfants s’éveilleront
ils riront ils pleureront
ils grandiront partiront
ils reviendront repartiront
ils disparaîtront
ça commence ça s’achève
ça s’interrompt.
Demain ma grand-mère est morte
hier je ne sais pas.
Ça s’arrête. Derrière les lignes
il y avait quelqu’un
derrière les lignes il y a quelqu’un
pour quelques lignes encor quelqu’un
un visage un village
des chemins pour les
passants trop tôt repris par l’Espace
histoires happées par l’Histoire
derrière les lignes il y avait
tout un peuple d’hommes
un paysage peuplé
de figures pas si absentes
derrière les lignes il y a eu quelqu’un
devant ces lignes tu es là
toi que je salue ici
d’un dernier signe de la main
en dernière ligne.
29 août 2012
© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.