Vigie, août 2012

 

 

 

 

DERRIÈRE LES LIGNES (quelqu’un)

 

 

L’écureuil poursuit son ombre et

derrière elle disparaît —

marron clair sur marron sombre 

le grimpereau aussi 

est maître en disparition.

 

Rien que des lueurs de mousses 

au fond de ce gouffre orné 

de silhouettes d’arbres :

le Grand Creux.

 

Un coq décoche la flèche

du premier cri matinal

et l’on file à travers champs —

la joie de passer ainsi  

n’est pas refusée à l’homme.

 

Aller au hasard 

sans insouciance mais pas 

sans intensité 

au gré des accidents de terrain 

 

Franchir le champ de sa vie  

arpenter son territoire

habiter vaille que vaille 

le Terrier de la maison

la Grotte de l’art 

et le Fort de sa faiblesse 

 

Se battre de jour en jour 

pour la seule cause perdue 

des saisons 

apposer sa main aux troncs 

en geste de soumission

 

Repeupler d’un chant ses ruines 

marcher dans les pas des morts 

suivre son fantôme

parfois débusquer 

un renard, une illusion 

 

Déchiffrer les traces 

l’écriture analphabète

des brindilles 

 

Relever les stèles 

rouvrir chaque fois l’espace 

de la solitude 

 

Entendre le temps qui cogne 

cogner contre

cogner avec 

cogner comme lui

se cogner

trébucher se relever 

aller d’un maintenant l’autre 

une main tendu vers l’aube 

l’autre vers le soir 

et poursuivre en funambule

le long de sa ligne 

 

ça commence ça s’achève 

ça commence ça s’achève 

ça commence ça s’achève 

c’est la fin de la balade 

les pruniers plient sous les fruits 

c’est le début c’est la fin 

tout offert 

tout ouvert 

dans la maison tout là-haut 

les enfants dorment encore 

et le vieux chat mort 

rêve sous la pierre 

 

ça s’achève ça commence 

ça s’achève la tristesse 

est un jardin qui attend 

les rires d’enfants 

 

ça s’achève ça commence 

et l’on suit le mouvement 

bientôt les enfants s’éveilleront 

ils riront ils pleureront

ils grandiront partiront 

ils reviendront repartiront

ils disparaîtront 

 

ça commence ça s’achève 

ça s’interrompt. 

 

Demain ma grand-mère est morte 

hier je ne sais pas. 

 

Ça s’arrête. Derrière les lignes 

il y avait quelqu’un 

derrière les lignes il y a quelqu’un 

pour quelques lignes encor quelqu’un 

un visage un village

des chemins pour les 

passants trop tôt repris par l’Espace 

histoires happées par l’Histoire 

 

derrière les lignes il y avait 

tout un peuple d’hommes 

un paysage peuplé

de figures pas si absentes 

 

derrière les lignes il y a eu quelqu’un 

devant ces lignes tu es là

 

toi que je salue ici 

d’un dernier signe de la main 

en dernière ligne.

  

29 août 2012

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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