TOMBEAU DU BEC-CROISÉ
Salut à toi, bel oiseau froid
on s’est souvent salués à travers la fenêtre
toi juché sur le poirier, moi assis au bureau
que je quittais alors pour prendre les jumelles
et admirer encore ta livrée flamboyante
ton bec et ton plumage de petit perroquet
et ton agilité.
Salut à toi, bel oiseau mort
figé dans ton linceul de sang frais et de plumes
arrachées. Est-ce pour me voir de plus près
que tu t’es approché de l’antre
que je partage, hélas, avec trois chats
qui t’aiment tout autant mais autrement que moi ?
Est-ce que tu étais si fier de ton plumage
qu’il te fallait en gros plan l’exhiber sur ma page
ou bien cela ne te suffisait-il pas
cet orange ce jaune jeune
(car tu étais jeune encore indubitablement)
que tu veuilles rajouter encore à ton bec tordu
cette perle de sang ?
Bel oiseau dont je photographie
le cadavre bariolé avant de le montrer
aux enfants pour la leçon de choses :
« voyez ce bec, cette livrée
à nulle autre semblable car chaque individu
chez ce passereau-là diffère de ses congénères »,
bel oiseau j’ai grand peine
et grand honte de te photographier
ainsi en gros plan, beau et mort
j’ai honte de ta mort
des chats que j’entretiens
des miettes que je jette
et des mots que j’écris pour chanter tes louanges
alors que partout l’homme tue
tout ce qu’il peut tuer et te tue, et se tue.
Je me tais. Je jette sur ton corps
quelques plumes, quelques feuilles
et trace à la va-vite en guise de contrition
ce tombeau pitoyable.
20 février 2017