Vigie, avril 2018

 

 

 

 

L’INUTILE

 

Vigieavril201807

 

 

Trop de souvenirs heureux sont embusqués derrière cette porte, qui attendent la nuit pour venir faire leurs ravages.

 

Je ne connais pas cette maison de vacances, cet intérieur feutré, ce vieux canapé gris où ma mère, litanie, est en vie malgré sa mort que le rêve n’ignore pas. Je pose ma tête sur les genoux de celle qui fut ma femme, geste dont le rêve n’ignore pas non plus l’impossibilité. Puis plus tard, ou plus tôt, à cause de ce lit, de cette pièce, c’est un nouveau rêve de caresse qui me blesse, me réveille, me fait répéter que « la vie rend modeste, on voit ce qu’on avait quand on voit ce qui reste ! »

 

Si je prends des notes, ce n’est pas pour me plaindre mais pour suivre, de l’extérieur, l’évolution de la maladie, pour laquelle il m’arrive d’éprouver une grande curiosité : c’est donc ainsi que les choses se passent ? C’est par ces étapes-là qu’on en passe ? – Et puis, accessoirement : est-ce que ça finit par passer, comme on me le dit sans que je puisse le croire, et déboucher sur je ne sais quelle nouvelle santé ?

 

Aimer sans plus être aimé est pire, bien sûr, qu’aimer sans être aimé. L’énergie propre au sentiment amoureux se retourne contre celui qui l’éprouve, le ramène à son inutilité première et fait de lui un paria.

 

Tout cet amour sans plus d’objet, sans direction, aura été bien inutile, à l’instar de ces richesses que je gardais serrées en moi, de ces livres que je portais et dont on n’aura pas voulu non plus, paroles abandonnées recueillies par personne, paroles inutiles.

 

Avant six heures les oiseaux relancent dans l’air leurs chants utiles.

 

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