Vigie, avril 2018

 

 

 

 

NEIGE D’AVRIL

 

Vigieavril201802bis

 

 

Déjà les images s’effacent, et l’épaisse couche de neige tombée pendant le rêve et qui brille aux premières lueurs de l’aube les recouvre. Fermer encore les yeux. Sauver ce qui peut l’être, pendant que passe le chasse-rêve…

 

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Malgré tous les efforts que je fais pour modifier la course, la courbe, le cours de mon être et tenter d’être celui que j’aurais pu mais que je n’ai jamais su être, malgré les pelletées de neige jetées sur son image pour, comme on dit, en faire mon deuil, c’est encore elle qui apparaît, elle qui revient, elle dont la caresse me fait m’étonner d’avoir pu si fort croire que le cauchemar était réel. Le deuil, pourtant, fait son chemin, puisque tout comme dans ces rêves où je revois ma mère en vie en sachant que ce n’est pas possible, je me mets à pleurer, lui reprochant son désamour. Ne reste néanmoins en mémoire que la fausse douceur de la caresse.

 

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Je suis mon père dans le dédale d’une ville inconnue qui ressemble tour à tour à Paris, Barcelone, Lisbonne ou Funchal. Je suis mon père, puis je le perds et je me retrouve seul, totalement désemparé parce que nous étions censés nous rendre à l’autre bout de la ville pour y retrouver ma mère, les enfants et leur mère, mais que je n’ai pas l’adresse, et pas non plus de plan, ni de téléphone, ni d’argent et que je ne connais pas la langue. Je pars dans une direction, puis dans une autre, m’égare dans une sorte de musée où des imbéciles s’amusent de ma mine triste, traverse un parc dans un sens, dans un autre. Soudain j’aperçois, de l’autre côté d’une avenue qui ressemble à un fleuve, des silhouettes qui me font signe. Je traverse tant bien que mal entre les voitures et parviens à les rejoindre. Mon père, sa nouvelle compagne et les enfants sont là qui me saluent et qui m’embrassent, mais ma mère et la mère des enfants restent curieusement impassibles, diaphanes, silencieuses. Je comprends qu’elles ne sont plus là.

 

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Pourquoi suis-je resté un enfant ?

 

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C’est encore une marche familiale sur un sentier d’escapade assez plat. Nos pas font vibrer la terre souple sans produire aucun son. La lumière est franche, les ombres bien découpées des arbres encore nus indiquent que nous sommes en avril. Nous longeons un petit lac à la surface duquel je vois apparaître puis disparaître une énorme nageoire. Je m’approche de l’eau claire et vois, non des carpes comme on me le suggère, mais des requins, des dizaines de requins. Je poursuis mon chemin. Je suis accablé par la tristesse car je sais que c’est la dernière marche que nous ferons ensemble, et je me dis que désormais toutes les sensations d’avril qui me traversent pendant cette marche – le son mat de mon pas sur la terre, la lumière franche, le lac et ses poissons – me ramèneront à cette tristesse-là.

 

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Les rêves et les fantasmes sont lassants, répétitifs, sans surprises, ai-je souvent dit pour mettre à distance leur charme dangereux, et la réalité meilleure puisqu’imprévisible ; la distinction m’apparaît pourtant de plus en plus spécieuse, tant les deux semblent se confondre. Ce nouvel hiver à la fenêtre du premier jour d’avril, est-ce un rêve ? une farce ? un poisson préparé dans la nuit par les enfants ?

 

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