Vigie, août 2019

 

 

 

La voiture

 

 

Toyota

 

 

On s’attache aux objets, cela n’a rien d’étonnant tant l’homme projette sur toute chose ses sentiments humains. On s’attache aux voitures, même subtilement (laissons de côté le fétichisme imbécile du macho astiquant son capot), même si l’on prétend qu’on s’en moque (qu’en tout cas on se moque que la carlingue de la bagnole soit rayée, rouillée et maculée de déjections d’abeilles), et même si l’on sait parfaitement que la généralisation de la voiture individuelle est une des causes importantes du dérèglement climatique en cours et qu’aucune « solution » technologique telle que l’électricité, l’hydrogène ou je ne sais quoi d’autre ne viendra nous sauver, car c’est l’organisation même de nos vies – habitat dispersé avec dépendance vis-à-vis de l’automobile – qui est en cause.

Mon vieux char que, dans La route ordinaire, je comparais à un staphylocoque doré (métaphore qui me remplissait de joie…), mon « vieux rafiot polluant en diable » qui a croisé onze ans durant dans ces parages de la route 207, ma grosse Toyota Verso Corolla qui avait transporté Clément de la maternité à la maison, la chienne Patawa de la maison au lieu de son euthanasie, et toute la famille sur les lieux des vacances du temps où famille il y avait, ma vieille caisse n’est plus. Je l’ai amenée seul au garage, d’où je suis reparti avec une autre moins polluante (mais pourvu d’un coffre assez grand pour y ranger sax et accordéons), et grise comme novembre. Je l’imagine en route pour son dernier voyage et bientôt dessossée, sur le toit, comme un gros scarabée sans défense…

Changer de voiture c’est aussi changer de saison. Comme la vie et la mort de nos animaux domestiques nos voitures segmentent nos vies en chapitres. Je me souviens encore de l’excitation familiale à l’arrivée de la nouvelle voiture lorsque j’étais enfant – c’était une « supercinq » marron métallisé, dont l’intérieur neuf écœurait fort, et nous étions aussitôt allés faire un tour dans l’engin rutilant qui me semblait le comble de la modernité.

Je me souviens de l’achat de la dite Toyota, à distance, depuis la Guyane, en prévision du grand retour, Josette et Victor se chargeant d’aller la chercher chez ses propriétaires dans l’Ain, Nathalie et moi-même regardant sur l’écran de l’ordinateur les images de la merveille qui nous transporterait. C’était un temps heureux.

 

Je reviens seul du garage, puis Léo accepte de venir faire un tour avec moi dans la nouvelle auto qui nous conduira tous deux, à la rentrée et pour un an, au collège.

 

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