Bivouac au lac noir, la nuit des loups

 

Lac Noir de nuit 

 

La nuit est tombée sur le Lac Noir. Silence et grondement, ça continue, c’est continu, même si vécu comme discontinu.

 

La nuit des loups est tombée sur le Lac Noir. Je ne sais pas pourquoi je dis : « la nuit des loups ». Peut-être parce que j’ai envie d’en voir ou d’en entendre. Peut-être à cause du nom du lac près duquel nous avons établi le campement. Peut-être parce que c’est encore une nuit de presque pleine lune (lorsqu’elle se lèvera on ne pourra plus dormir), ou bien parce qu’une telle nuit semble réservée au loup plutôt qu’aux humains. 

 

Nuit trop vaste, dans la montagne désolée dont les deux triangles marquent le fond de notre paysage du Villard, nuit de loup.

 

De toute façon nous sommes un peu meute, meute de loups et de louveteaux. Il y a le petit Clément, qui ne dort pas mais lit, les fesses en l’air, le menton sur les poings, après avoir catégoriquement refusé de s’installer sous la tente parce qu’il voulait voir la nuit étoilée, sentir le vent, la rosée, guetter les loups ! Toute la nuit il s’agitera, puis marchera encore gaillardement, jusqu’à la glissade qui lui fera si peur qu’il refusera de poursuivre jusqu’au sommet du Grand Arc, se contentant (c’est aussi bien) du Petit Arc voisin.

 

Il y a Tanguy, le tout jeune wwoofer qui nous accompagne, dix-huit ans à peine, en route pour sa prépa véto et la découverte du monde, plein d’allant et de curiosité et parfait compagnon de meute.

 

Éric est là, bien sûr, toujours partant pour l’escapade, enroulé maintenant dans son duvet, chef de meute à sa façon discrète – lui seul n’a pas plongé dans les eaux froides du Lac Noir lorsque nous sommes arrivés, mais il le fera demain juste avant la longue redescente.

 

Les étoiles s’allument. J’ai faim d’étoiles et de « commotions intersidérales », une faim de loup. Si je ferme les yeux maintenant je vais avoir des visions de loup en chasse, de vieux loup solitaire ou bien, pourquoi pas, je préférerais, de jeune loup au pelage luisant, à la foulée souple, au regard avide.

 

Légère brise. Grondement du ruisseau, lignes d’encre des crêtes sur fond noir. Nous sommes seuls dans la montagne, pour la courte nuit des loups.

 

(Le lendemain on verra rappliquer non les loups, mais deux gros chiens qu’on prendra pour des patous, mais dont le désintérêt manifeste pour le troupeau de moutons qui viendra boire au lac trahira la véritable condition de chiens domestiques divaguant dans l’alpage et chassant les marmottes…)

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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