Cache-cache à Valpelouse, juin 2019

 

 

Valpelousejuin2019

 

 

La route est interdite à la circulation, mais une voiture passe, on passe aussi, ça passe, passe très bien, passe encore, et bientôt nous voici de nouveau sur ce chemin de Valpelouse saturé de mémoire, au long duquel l’écheveau des conversations passées parfois s’emmêle. On met nos pas dans les pas du passé pour tenter de s’inventer un futur, bien sûr. Moi je transporte mon passé, mon carnet, et mon ami Éric son parapente car il voudrait tenter de redescendre en volant, si le brouillard et les nuages accrochés aux crêtes le permettent. On n’attend même pas pour pique-niquer la vire aux bouleaux (dont les bouleaux ont été coupés depuis la dernière fois et débités en rondins qui sèchent au bord du chemin), choisissant imprudemment un coin d’herbe près d’une gouille dans laquelle les enfants ne tardent pas à patauger…

 

Col de la Perrière. Plus discrète qu’un chat en chasse la brume remonte le pierrier encore partiellement enneigé qui semble soudain très sauvage, solennel, archaïque, abandonné – quand on regarde en direction de la combe à moitié effacée on pourrait se croire au fin fond d’une contrée vraiment inhabitée. Le brouillard absorbe les éclats de voix des enfants, tout comme naguère à Madère, et je me souviens de ce moment qui fut l’un des plus troublants de nos séjours sur l’île (et devrait être un passage essentiel de mon Livre de Madère, si je l’écris un jour), où j’attendais seul avec les enfants dans un brouillard épais mon père, ma mère et Nathalie, qui étaient passés comme des ombres mais que je n’avais ni vus, ni entendus – et nos appels se perdaient dans cet air cotonneux.

 

Les enfants, cependant, ont entamé une partie de cache-cache, à laquelle je finis par me mêler.

 

« C’est toi qui t’y colles, compte jusqu’à dix… »

 

Se glisser dans un trou de marmotte et attendre, recroquevillé, les yeux fermés, que l’on me trouve : voilà un jeu qui me convient. La pierre froide appuie sur ma joue. Le temps s’étire. Les voix se rapprochent, puis s’éloignent, puis se taisent tout à fait. Si j’entrouvre la seule paupière disponible qui me reste, je ne vois qu’un fragment de ciel gris traversé de brouillard et encadré par la mousse. On ne me trouve pas. On ne me trouvera pas. Je ne fais aucun signe. Je ne lance pas de pierre comme le feraient les enfants. Je pourrais rester seul ici très longtemps, ne plus me relever, je pourrais…

 

Finalement on me trouve. On repart le long des crêtes de Valpelouse au bout desquelles il s’envole, sans effort, sans crier gare, et disparaît bientôt happé par le vent ascendant.

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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