Soudain les tronçonneuses se taisent. La cognée claque comme des coups de feu en automne. Silence. Chants mêlés du merle et de la tourterelle. Cognée. Tronçonneuse.
C’est un jour de plein été caniculaire en montagne. Jamais on n’avait vu, à cette période de l’année, l’herbe aussi sèche, rasée peut-être par les moutons qui n’ont épargné qu’un seul et superbe chardon. On monte lentement, savourant la fraîcheur qui stagne encore dans les replis humides du sentier, suant tout de même à grosses gouttes, heureux de l’effort, de l’odeur des rhododendrons sans fleurs et du goût des myrtilles gorgées de soleil.
C’est un jour de grand beau temps, de cette plénitude estivale qu’on perçoit bien lorsque les tronçonneuses se taisent.
Prendre le col dans les deux sens, pour le plaisir du vent dans les hautes herbes et pour rejouer la joie des grandes découvertes et des perspectives élargies ;
remonter la pente et redevenir marcheur-cueilleur, jusqu’à ce que les dizaines de ronds violet sur fond de vert bronze vous montent à la tête et que le monde entier commence à ressembler à une myrtille géante ;
reprendre la piste des nuages, cap au rêve, et constater une fois de plus que le temps, à mesure que l’on s’élève, pèse moins ;
s’asseoir au deuxième cairn du Grand Chat en compagnie des taons, du vent et des criquets (en voici un rouge sombre avec des rais noirs, puis un autre doré comme les blés) devant le mémorial du jeune homme mort, face aux montagnes bleues ;
s’étendre là, « sur la terre comme au ciel, tête en l’air, amoureux d’une émotion légère comme un soleil radieux » et, comme on dit, prendre le soleil, prendre tout ce qui vient, les cricris des criquets, les parfums de fruits et d’aiguilles, le vrombissement obsédant des mouches affolées de chaleur, l’éclat blanc des pierres, des papillons et des nuages, le jaune orangé des jeunes sapins, tout prendre avec l’insouciance et l’intensité de cette vieille femme venue seule en ce lieu et qui, assise au soleil une clope aux lèvres, savoure, savoure :
faire ainsi c’est rouvrir encore la belle parenthèse de la haute vie.
© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.