Plein soleil sur le Trélod et l’Arcalod, plein soleil que les ombres naissantes de l’après-midi soulignent, apportant ce qu’il faut de contrastes et de nuances aux verts pâles de la pelouse striée par la marche des vaches et aux belles falaises claires. Je mêle ma voix d’enfant aux bourdonnements des mouches et aux stridulations des criquets, ma voix d’enfant qui se perd ici, happée par le bleu sans fond du ciel, aguillée aux falaises, portée par un papillon blanc, par le vent, par l’été. Dans le creux de ce col idéal on n’éprouve plus l’envie de fuir, ni de redescendre, ni de monter autrement que par la voix, par l’esprit, par le rêve. La tension du temps y est la plus faible possible. Le passé est resté à couvert dans les bois d’en bas, l’avenir fait la sieste dans l’un de ces hameaux que l’on aperçoit de l’autre côté du col, presque invisibles et dont on ne se soucie pas. Tout s’équilibre : le poids de vide dans le cœur et au ciel, la voix humaine et le silence des anges, le doux creux et les pics qui le protègent, la présence, les absences – tout s’équilibre. Même le feutre glisse sur la page avec une douceur inhabituelle et forme sans effort ni volonté des notes harmonieuses. La montagne ne gronde plus, mais encourage. C’est peut-être le soleil qui commence à monter à la tête, allez savoir, ou l’air trop pur, ou la perfection des lignes et des couleurs. Ce n’est pas tous les jours que l’on entre à l’intérieur du tableau. Tout s’y tient en arrêt, pas sans ombres ni rumeurs, non, mais sans inquiétude ni insouciance, gravement, simplement, intensément. Le vent du col caresse les herbes folles et les grandes gentianes sans les plier, caresse la peau nue, la pelouse alpine, la pierre blanche. Un tout petit nuage en forme de poisson se disloque, se dissout. La paix s’est assise ici, au col de Chérel, chante, s’attarde.
© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.