Un très long cri de joie
L’orage d’hier a été si violent que la route a été coupée par des coulées de boue. Devant le hangar un escargot traverse le goudron encore trempé – moi, c’est le grand champ aux herbes hautes que je traverse, Rimski bondissant follement pour continuer à y voir quelque chose (je ne sais pas encore que ces jeux dans les hautes herbes seront à l’origine de la blessure qui va bientôt l’empêcher de bondir). Des troupes d’étourneaux et de grives se pressent partout où l’on a fauché. Le ciel blanchit, les nuages s’amassent sur les crêtes et l’on sent qu’à nouveau l’orage se prépare. Le vent humide soulève des parfums d’herbe et de lilas. Soudain Rimski manque briser sa laisse et mon dos à cause de l’écureuil noir qui vient juste de débouler devant son museau et qu’il regarde escalader le tronc du sapin. Les deux pattes contre le tronc, il tente de suivre l’animal puis se retourne vers moi et me lance un cri accusateur : pourquoi ne m’as-tu pas appris à grimper aux arbres ?
Longue marche dans l’air moite. En deux jours, fidèles à l’appel de l’été, les balsamines de l’Himalaya sont reparties à l’assaut de ce territoire où elles régneront bientôt en maîtresses impitoyables, étouffant même les ronces et les orties. Les balsamines sont les impatientes de l’été, et je me sens moi-même taraudé par l’envie d’être en juin, nonobstant mon horreur de la chaleur, taraudé par l’envie d’écrire sept livres à la fois, sept lièvres à courir dans sept directions différentes.
J’explique à mon chien que grâce à l’écriture il pourrait le rejoindre, son écureuil, s’inventer une autre vie dans les arbres, car la posture de l’écrivain au travail, vois-tu, c’est tout à fait la tienne tout à l’heure quand tu avais la tête en arrière, les pattes avant posées sur le tronc et le museau tendu vers l’inaccessible, c’est tout à fait ainsi que je serai bientôt, cet été, dans la fraîcheur de la cave, les pattes avant posées sur le carnet ou le clavier, la tête renversée, et mon livre sera un très long cri de joie…
21/05/23