Avec les chevreuils (1) – Sans écrire (2) – La pluie (3) – Universelle stupeur (4) – Au plus près (5) – La neige (6) – Les mystères du vent (7) – Le film de la nuit (8) – Stigmergie musicale (9).
Avec les chevreuils
Les regroupements hivernaux des chevreuils éclatent au printemps, parait-il, mais faute de caméras en nombre et de bêtes marquées il m’est difficile de le vérifier avec certitude : je constate seulement que j’ai croisé à plusieurs reprises la chevrette brune avec son petit d’un côté, la chevrette grise avec le sien d’un autre, occupant encore le même territoire mais séparées.
Ce qu’il est difficile en revanche de ne pas voir, c’est à quel point la reverdie s’est emballée. En quelques jours les saules marsault se sont couverts de bourgeons duveteux, et le sol en forêt fourmille de petites araignées, de grillons. Le temps reste si obstinément sec que toutes les pontes de la gouille meurent au soleil. Joël au jardin me dit à quel point les plantations sont en avance – et puis, fatalement, on parle de ce qui inquiète, du climat, de la guerre, on se dit nos angoisses et les nouvelles du Villard.
Tout à l’heure le héron s’est envolé en emportant un serpent, semble-t-il, qu’il a laissé tomber près de la gouille : je cherche en vain.
Soudain voici en lisière la chevrette grise qui file se cacher entre les troncs gris. Je m’immobilise, ramène les chiens contre moi. Si je n’avais pas repéré l’endroit où elle se tient elle-même parfaitement immobile, jamais je ne la verrais (ce qui relativise toutes mes observations). Je sais que son petit s’est tapi quelque part, et qu’il réapparaîtra comme par enchantement quand il pensera le danger écarté. C’est ce qui se produit bientôt à quelques mètres de la mère : deux oreilles apparaissent de part et d’autre d’un tronc, puis un œil, un museau. Je reste un moment à les regarder, mère et fils, La Grise et Le Petit — je n’ai pas trouvé mieux pour les désigner.
Plus loin dans la combe, Rimski manque de me faire tomber lorsque détalent, cette fois, La Brune et La Petite. Quelquefois je suis las de ces promenades acrobatiques où je risque à tout instant d’être jeté par terre – mais jamais des rencontres avec les chevreuils.
04/03/25