Vigie, mai 2023

 

 

Mai macabre

 

 

On a franchi je crois l’une des dernières portes qui nous séparaient des beaux jours, cette fameuse herse des saints de glace qui ont été cette année longs et pluvieux. J’ai poursuivi l’aménagement du sous-sol d’Élodie, on a fini de clore son grand terrain d’en haut dans l’asphyxie croissante des graminées, et je repars à présent dans l’air tiède, traversant d’un bon pas le champ rasé de frais tout autour de la gouille. Odeur d’ortie, de miel, d’herbe coupée, de bouse et, c’est curieux, de punaise écrasée — ce doit être une plante qui vient de s’épanouir, que je n’identifie pas mais que je connais. Rimski ouvre fièrement la marche, une mâchoire de cerfs dans la gueule (il l’a dégottée je ne sais où juste avant de partir).

Dans cet état d’esprit de fin délassement, de nonchalance attentive ou d’attention nonchalante, on est prêt à accueillir toutes les oscillations du temps, ces bouffées de tiédeur vraiment estivale quand on arrive en bas de La Martinette, cette très légère nostalgie d’avril qui vient tout de suite après quand on pénètre dans la forêt, cette tristesse de toute saison devant le cadavre de la taupe échouée au soleil, avec ses petites pattes aux coussinets roses écartées, ses griffes qui ne gratteront plus le sol, et la gueule entrouverte en laquelle s’affairent déjà les mouches.

Après cette image, les boules de coton des pissenlits fanés qui se déchirent et se dispersent quand on les frôle semblent en deuil (tout n’est pourtant comme toujours qu’une question de point de vue, car pour la mouche il y n’avait là que l’aubaine d’un festin).

J’avance, tiré par mon chien blanc, j’oscille entre le silence peuplé d’oiseaux chanteurs à ma gauche et le grand vacarme du torrent à main droite. Plus loin m’arrête encore le cadavre tout brillant d’un scarabée doré au milieu du sentier, que je regarde de très près en suivant les lignes irisées de la carapace, puis c’est encore, quelle hécatombe, un merle mort, plumé par le faucon.

Rimski n’a pas lâché sa mâchoire. Je pense que c’est à lui que je dois la tonalité funèbre de cette balade du 22 mai ; la prochaine fois, je tacherai de lui faire porter un bouquet de scabieuses, rien que pour voir…

22/05/23

 

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