Vigie, mai 2023

 

 

Blessé seulement

 

 

Le chat Musique sort en trombe par la trappe et s’étonne de l’absence de réaction de Rimski, qui gît contre le portail, langue pendante ; puis la chatte Dana sort à son tour et va se frotter au chien inerte, comme elle l’avait fait jadis à ce même endroit au cadavre de ma chienne Patawa avant que je ne l’enterre. Comme il fait enfin chaud, je m’installe sur une table de jardin devant la maison pour surveiller Rimski tout en mettant au propre les derniers textes parisiens.

Je déteste cette image de mon chien recroquevillé dans une position de souffrance qui évoque les oiseaux morts peints par Audubon – car il a tenté de bouger malgré l’hébétude de l’anesthésiant et il est retombé ainsi – avec les poils des pattes rasés et cet air dépenaillé qu’ont les bêtes malades. J’écris quelques lignes, puis je me lève pour tenter de le rassurer mais ma présence, qu’il perçoit de façon probablement très embrouillée, l’affole encore plus et il manque se faire mal en essayant de se redresser. Dana vient lécher ses pattes. Je sais qu’à son réveil il va certainement vomir, qu’il sera mal encore un moment, puis que ça ira mieux – sa patte blessée a été nettoyée, et les antibiotiques feront le reste – mais indépendamment du fait qu’une anesthésie générale n’est jamais anodine, je crains que cet épisode n’entame la confiance infinie qu’il accordait jusqu’à présent en l’espèce humaine : pour la première fois, un homme lui a fait (un peu) mal en le piquant, puis en le plongeant dans un état de confusion probablement très déplaisant. Cette légère crainte de l’avenir en cache une plus profonde : un jour, un jour ou l’autre, j’irai pareillement chez le vétérinaire et j’en reviendrai avec, dans les bras, mon chien définitivement inerte.

C’est peu dire que je trouve cette idée contrariante. 

26/05/23

 

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