Vigie, mars 2024

 

Intermède

 

 

Il est difficile de maintenir l’état de réceptivité qui permet d’accueillir le poème. Il est difficile même de continuer à tenter de le faire lorsque les anicroches ordinaires inhérentes de la météo mentale, physique ou sociale viennent brouiller l’horizon. Une lettre de refus, la maladie qui vient rôder, les études ratées du fiston qui vous replongent dans les affres des réorientations et les cauchemars de départs forcés, et voilà le printemps qui continue sa route tout seul, sans témoin. L’homme aux chiens blancs surveille sa thrombose en bouquinant, ses Samoyèdes en guise de chauffe-pieds. La grive aux volets bleus reste aussi au nid à cause du mal qui la tenaille à son tour. Devant l’hôpital une femme accoudée à son cathéter tire compulsivement sur sa cigarette, pendant qu’alentour les oiseaux rivalisent de trilles.

Toutes les fleurs cependant s’ouvrent, même l’agapanthe madérienne plantée en pot dans le salon et qui depuis trois ans n’avait plus donné que des feuilles lance en direction du plafond les gerbes de trois bouquets tout neufs. Les heures humaines glissent sans boussole, toutes engluées de doute et d’absurdité, là où chaque seconde semble, pour la nature non-humaine, orientée, aimantée par un but qu’il est aussi urgent d’atteindre au plus vite que, pour les chiens, de repérer et de courser le chevreuil : répondre à l’appel du printemps.

23/03/24

 

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