Vigie, avril 2024

 

Cueillette d’avril

 

 

Au premier jour du nouvel enclos je rentre un peu inquiet, car même si les chiens bénéficient de l’entrée bien fraîche du sous-sol où se trouve leur canapé, de l’atelier laissé ouvert et d’un assez grand espace de caillasses et de caillebotis avec vue sur le chemin, leur territoire a tout de même été diminué et j’ai peur de les retrouver perturbés ou frustrés de ne plus pouvoir creuser. Il n’en est rien, les voici parfaitement paisibles, bien heureux, et l’on s’adonne à un long moment de tendresse avant de repartir en promenade…

Toute l’eau des sous-bois et des monts semble s’être retirée en fond de combe, laissant le sol de nouveau sec. Quand on traverse le torrent sur la passerelle, on cherche comme en été ce souffle frais aux parfums végétaux qui fait du bien et sèche la sueur. Nouchka lape chaque flaque. L’ombre sent la résine et l’ail des ours. Les têtards qui par malchance ont éclos non dans la gouille mais dans l’ornière s’affolent, et peut-être certains ont-ils commencé à devenir carnivores pour se sortir du piège — on les reconnaît parce qu’ils sont plus gros que les autres, devenus leurs proies.

J’avance les yeux rivés au sol et trouve enfin la première morille blonde, en plein territoire des brunes, qui s’épanouit en plein soleil : c’est au moment où je m’apprêtais à repartir que j’ai perçu confusément le petit quadrillage des alvéoles imprimées dans la tête de tout cueilleur au printemps, après quoi elles apparaissent, tourelles ouvragées du château de la Merveille émergeant du néant, en grande tenue de camouflage, couleur de feuilles mortes, là où je n’avais jusqu’alors trouvé que des morilles brunes. Rimski, de son côté, creuse tout près d’un autre bouquet, à croire qu’il a compris ce que son maître cherche. Je constate que les morilles noires sont apparues les premières, à un moment où elles se confondaient avec le sol très sombre, puis que ce sont les morilles blondes qui ont pris le relais lorsque cette livrée les camoufle le mieux. Est-ce parce que je passe après d’autres cueilleurs qui ont déjà ramassé les spécimens les plus visibles, ne me laissant que les restes ? C’est peu probable, car je n’ai trouvé aucune trace de cueillette, pieds coupés, empreintes de pas etc., et que, lors de ma première cueillette de morilles brunes, celles-ci étaient tout de même assez exposées sur le terrain où la végétation n’avait pas encore poussé. Je cherche à établir des règles en fonction de l’ensoleillement, de la nature du terrain, de la proximité ou non du torrent, mais je n’aboutis à rien.

Je sais que, dans ce secteur, poussent des morilles brunes et blondes, que d’un côté du nant je n’ai trouvé jusqu’alors que des brunes et aujourd’hui seulement des blondes, que de l’autre côté je n’ai jamais trouvé que des blondes mais rien du tout en ce jour ; et je sais quoi qu’il en soit que la sauce aux morilles de ce soir sera exquise.

08/04/24

 

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