Fugues
Matin fébrile dans le tilleul bourdonnant d’abeilles. On surveille en passant la croissance des noisettes, déjà bien rondes et vertes, le long de ce tunnel de verdure qui ravive des souvenirs de Normandie. On admire la vigueur des ronces qui lancent de part et d’autre du chemin leurs tiges griffues et auraient tôt fait de rendre le sentier absolument impraticable si l’on cessait de passer par ici ne serait-ce que quelques semaines. On s’inquiète de la rapidité avec laquelle progresse la colonisation des impatientes qui uniformisent les rives du torrent et détrônent même les reines des bois, qui semblent s’être alliées avec les ronces pour leur tenir tête mais qui ne font pas le poids. On franchit à grand peine le pont sur le Gelon depuis qu’un bouquet de sycomores s’est abattu sur lui, le rendant en quelque sorte à la nature car on dirait qu’il n’est plus fait que de branchages.
Affolés par les odeurs matinales, les samoyèdes tirent fort leur longe, et sans doute rêvent de retrouver la liberté qu’un portail malencontreusement laissé ouvert leur a octroyée hier pendant quelques heures d’angoisse, pour l’humain qui les hélait en vain, heures d’heureuse frénésie pour les chiens qui, rentrés pourtant d’une assez longue balade semblaient n’aspirer qu’au repos mais qui ont couru sans s’arrêter, jusqu’à épuisement, remontant les pistes d’odeurs à travers les champs et les bois dont ils ont ramené, emmêlés à leur long pelage que je venais de brosser, toutes les traces et tous les débris, aiguilles, branchettes, grattons perfidement collants du gaillet gratteron (on en retrouve partout dans la maison), ainsi qu’une cinquantaine de tiques de diverses espèces et même, des limaçons.
On fait cette fois le grand tour de l’aqueduc, passage assez sombre au bout duquel on s’étonne de prendre le soleil de face comme on retrouve l’été. Lorsqu’on passe ainsi par le bas de La Martinette, on débouche devant une maison en briques entourée de verdure, avec le pic de l’Huile en arrière-plan : que ma propre maison me pardonne, voici celle que j’aurais voulu habiter, ce balcon en forêt idéalement situé à l’écart de tout avec vue plongeante sur les arbres – maison, mais on ne peut pas toutes les connaître (chante Bertin), pas toutes les habiter, et je vis très bien dans la mienne, ancrée dans ce passé que Léo curieusement ne cesse de convoquer quand il bavarde avec moi.
Au retour je reprends la réfection de cette chambre qui sera bientôt mon propre balcon en forêt.
05/07/24