Sur le chemin de l’éphémère
Avant six heures la tourterelle remet en marche sa machine à se souvenir, et l’on repart sous le ciel limpide parcourir ce monde peuplé de présences sonores et silencieuses, visibles et invisibles, qui à l’aube d’été n’en finit pas de murmurer des paroles de paix qu’on serait bien inspirés d’écouter.
Deux corneilles traversent interminablement, la première en croassant curieusement, la seconde silencieuse, et l’on comprend que ce doit être une sorte d’initiation au vol, comme un cours de conduite accompagnée, avec le parent moniteur derrière qui rassure et s’assure que tout va bien.
Les noisettes d’un vert jaune très tendre ont roulé parmi les chenilles marron des fleurs de châtaignier, les écureuils et les geais attendent qu’on soit passés pour revenir les croquer.
Les silhouettes noires des hirondelles voltigent au-dessus de La Martinette cependant que le soleil commence à repeindre en clair le pic de l’Huile.
Deux chats traversent le grand champ fauché en une course éperdue qui rend les chiens jaloux.
Devant le tunnel sombre qui marque l’entrée dans la forêt, ça pépie furieusement en trilles dentelés, puissants, virtuoses, je pense que la famille de troglodytes agrandie récemment répète. C’est ici que rituellement Rimski défèque, les fesses dans les ronces et le museau au vent frais du nant qui coule en contrebas – c’est le meilleur endroit.
Un bouquet de campanules à feuilles d’ortie d’un joli parme pousse ici : les fleurs mortes rendent hommage aux disparus et ces fleurs vives, me dis-je, nous rendent hommage, à nous autres passants bien vivants qui apparaissons et disparaissons sur ce sentier de l’éphémère. (À propos d’éphémère, Nouchka a manifestement repéré le passage d’une bête dont elle aurait beaucoup aimé qu’elle s’attarde un peu plus.)
Après la passerelle, voici ce qui est désormais la colonie des impatientes de l’Himalaya, tout en fleurs, qui atteignent et dépassent les deux mètres et ont triomphé de toutes leurs concurrentes inhibées peut-être chimiquement, intimidées par cette odeur capiteuse qui supplante toutes les autres, et l’on regarde avec un mélange d’effroi et de fascination les corolles pourpres, rose vif, rose pâle ou presque blanches de ces belles envahisseuses dont des quidams ignorants de leur statut d’espèce invasive vont faire des boutures ou recueillir les graines (ce qui est interdit mais le panneau qui, au pont de la Provenchère, se réjouit de ce que la Région a triomphé de la renouée du Japon, n’en parle pas).
Sur le pont où sont tombés les sycomores, les feuillages ont séché et l’on ne sent plus la formidable infusion des feuilles dans le torrent.
On remonte la pente assez raide au bout de laquelle nous attendent le soleil et l’écriture, là-haut, dans le nouveau « bureau du milieu » avec vue sur la vie.
28/07/24