Vigie, juin-juillet 2024

 

M. Plume

 

 

Nathalie rentre de l’école et m’appelle pour me dire qu’elle a « quelque chose à (me) montrer ». J’ai déjà vécu cette scène plusieurs fois, mais la dernière est déjà ancienne… Clément est avec elle, un sourire radieux. C’est un sauvetage, un de plus, toute une portée abandonnée de chatons sevrés bien trop tôt. On ne sait pas encore avec certitude s’iel est mâle ou femelle (ce sera finalement un mâle), mais c’est une adorable créature aux longs poils gris duveteux, qui ressemble à un sacré de Birmanie. Les chiens se dressent sur leurs pattes arrière pour le renifler, il se blottit sur mon épaule et s’endort en ronronnant.

J’ai déjà vécu cette scène plusieurs fois, disais-je, en Guyane avec Onça et la chienne Patawa, puis avec Dana, Musique.… Les animaux qu’on introduit ainsi dans nos maisons, marquent la fin et le début des chapitres de nos vies. Je ne voulais plus de chat à cause des prédations sur les oiseaux ; pas un instant pourtant je ne songe à dire non. On ne dit pas non à un sauvetage, surtout quand celui qui en est l’objet vous ronronne dans les bras puis s’endort sur votre épaule avec une confiance qui vous oblige…

Finalement je sors avec les chiens, dont la promenade a été retardée. Je salue en passant les chats des Landaz, puis les vaches avec leurs veaux qui dorment dans l’herbe tiède. Aujourd’hui je suis d’humeur à adopter tout un troupeau : ces veaux allongés ne sont pas moins touchants que le chaton que j’ai laissé endormi sur le canapé, ils finiront pourtant à l’abattoir. J’ai lu ce matin une tribune signée par plusieurs dizaines de scientifiques qui, après avoir fait des études sur les insectes et constaté des signes manifestes de conscience et de sensibilité, invitent à la plus grande prudence concernant le traitement qui leur est d’ordinaire réservé. Il reste hélas beaucoup de chemin à parcourir à l’homme avant d’être à même de reconnaître dans l’ensemble du monde animal des formes de conscience différentes de la sienne, mais respectables en tant que telles. Ce jour-là, s’il arrive, l’homme sera peut-être aussi capable de se respecter lui-même. J’ai peine à croire que quiconque se laisse émouvoir par un chat, un chien, un veau, un criquet, puisse ensuite appuyer sans vergogne sur le bouton qui enverra une bombe dézinguer son voisin.

05/06/24

 

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