Trop
Le dernier orage a fini d’arracher le goudron de la ruelle, creusant de profondes ravines devant la maison. Un vent presque froid fait vaciller les fleurs. Dans son jardin cerné par une végétation de plus en plus tropicale, le voisin s’effare de la taille des feuilles des fraisiers et de l’invasion des fourmis. Chaque jour, à mon passage, les vaches qui protègent leurs veaux poussent des meuglements rauques. Impasse de la Centrale, l’eau claire coule à gros goulot dans le lit du nant qui serpente entre les orties. Ici les arbres sont plus hauts, renverser la tête vers leurs frondaisons procure un petit étourdissement salvateur, comme un instant d’oubli, un éclat mental, un élargissement.
Sitôt après, odeur de pourriture, de cadavre, Rimski repart avec une omoplate. En s’affaissant les impatientes colonisent encore plus vite le sentier qui tend à disparaître : trop d’obstacles, trop de troncs à terre, trop de flaques, trop de crasse dans les ornières, trop de verts, trop de vapeurs et de vertiges, trop de traces, trop de mots, trop de boue et trop d’inquiétude au bout de ce sentier, trop de tensions, trop de fatigue, trop de têtards dans ces eaux troubles, trop de tension dans les longes, les escargots et les limaces aussi semblent trop gros, et ce temps trop moite, trop c’est trop : je vais rejoindre Plume dans la chambre, me calfeutrer, mettre sa patte sur mes yeux, tout oublier.
13/06/24