Vigie, septembre 2024

 

La nature nous sauvera ?

 

 

J’ai lu dans Psychologie positive et écologie de Lisa Garnier que des études avaient montré les prodigieux bienfaits de la simple présence d’un paysage ne serait-ce qu’un peu naturel, avec des arbres par exemple, en matière de santé physique et mentale. Indépendamment de la dimension utilitariste et de la pauvreté du rapport homme-nature que cette approche suppose (« prends un doliprane ou va faire un tour quand t’as mal à la tête ! »), le propos m’a souvent laissé un peu dubitatif quant à sa légitimité scientifique. À ce compte-là, les gens de la campagne devraient être bien plus heureux que ceux de la ville, ce dont je doute. Ils devraient aussi être plus ouverts, moins aigris, moins voter pour l’extrême droite : il n’en est rien. Je suis d’accord pourtant pour reconnaître le pouvoir rassérénant du dehors, bien sûr, pour peu qu’on soit un peu capable de laisser se dissoudre dans l’air trempé de septembre les petits kystes d’anxiété…

À dire vrai, il pleut si fort ce matin que c’est toute la vallée qui semble bien partie pour se dissoudre, et moi avec. Cette pluie, comme souvent, me réjouit, parce qu’elle est musicale, parce qu’elle fait tout briller et parce qu’elle favorise la poussée de ces excellents cèpes dont je me régale depuis quelques jours, les cueillant au hasard du chemin sans les chercher, en petites quantités chaque fois car cela suffit bien à parfumer un plat. « Si je cherche je ne trouve pas », me dis-je par facilité, aussi je fais semblant de rien — mais scruter les bords du chemin avec une telle intensité, est-ce que ce n’est pas un peu chercher quand même ?

Je scrute tout ce que je peux scruter, je hume tout ce que je peux humer, oubliant pour de bon mes velléités de cueillette. Il y a le ballet des limaces et des escargots, le souffle parfumé du torrent qui monte du ravin avec ses fragrances de mûres et de fougères, il y a le sol fleuri de dizaines et même de centaines de tout petits champignons que je ne connais pas mais qui sont reliés, je le sais et le sens, par des milliers de rhizomes souterrains aux arbres alentours, reliés plus finement, plus fermement que je ne le serai jamais en tant que bipède pensant de passage. Il y a la cascade qui déborde et le Gelon en crue que Nouchka n’ose plus traverser. Il y a la feuille très jaune d’un érable posée en équilibre sur un rocher cerné par l’écume. Il y a cette odeur d’eau et d’impatientes, quand on s’éloigne de la passerelle, qui fait pousser un soupir d’aise. Il y a cette éclaircie au bout de la haie des aulnes, et les coprins près du pont – certains tout décatis déjà, et des neufs qui les remplacent.

Comme s’il avait senti mon envie de prolonger l’escapade, Rimski choisit le plus long chemin. Des pensées ressurgissent au virage, puis le cri d’un geai m’en détache. La martre détale et les chiens  tentent de lui courir après.

Je cueille dans la mousse plusieurs poignées de girolles, puis regagne mon poste de vigie au moment où l’averse reprend.

28/09/24

 

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