Vigie, septembre 2024

 

« Mes amis, réjouissons-nous »

 

 

Un coq s’égosille dans l’air humide et l’on repart en bottes usées sous le grand ciel anxieux. Alarme du merle surpris par le chien. Ploc-ploc des gouttes tombant lourdement sur les aiguilles du sentier. Parfum fort de pétrichor, de terre, d’herbes et d’orties mêlées. Taches claires dans l’ombre de la lisière des deux chevreuils qui nous regardent passer mais que les chiens ne voient pas.

Bientôt les clameurs des coqs redoublent, rejointes par les trilles des mésanges sur fond de rumeur de vent et de nant. Le gris du ciel s’éclaircit lentement. C’est un matin d’automne, matin de rentrée où les gens sont plus nombreux à partir au travail, à en juger par les lumières qu’on aperçoit sur la route. Je marche dans le sous-bois sombre (qui le sera naturellement de plus en plus à mesure qu’on ira vers l’hiver), en équilibre sur le fil de cette rentrée. Je sens qu’à mes tempes se détend la pression de la violente migraine qui, hier, m’a aveuglé et cloué au lit une bonne partie de la journée, mais j’ai encore le ventre noué à cause des rêves de falaises et de deuil qu’il m’a fallu endurer tout au long de la nuit.

Et puis, comme si toute cette confusion mentale s’était déportée sur le dehors, voici que tout s’obscurcit, dissolvant jusqu’à la dite confusion, et je mets quelques fractions de secondes à comprendre que ce n’est que l’averse qui a repris brièvement au-dessus de nos têtes d’arbres. Les chiens sont agités, le temps est agité, l’esprit est agité, nous sommes donc en vie, en mouvement, même si ce n’est pas forcément plaisant – alors, « mes amis, réjouissons-nous… »

À cet instant les chiens manquent de me flanquer à terre, puis ils vocalisent sur tous les tons leur frustration (un chevreuil a dû détaler quelque part…), avant de reprendre leur place derrière moi. Après la passerelle, on remonte le sentier de nouveau envahi par les impatientes de l’Himalaya qui nous enivrent et les ronces qui nous griffent. Un pinson chante sur la branche basse d’un saule au-dessus du torrent que Nouchka voudrait remonter librement, comme si c’était possible de remonter le temps – au lieu de quoi c’est le sentier que l’on remonte dans la brume et les fragrances fruitées de ce premier matin de septembre.

01/09/24

 

Ce contenu a été publié dans 2024. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.