Explosition d’automne
Je marche sous le crépitant ciel portatif du grand parapluie nocturne, porté par la rumeur de l’averse qui glisse entre les frondaisons des tilleuls et des châtaigniers, qu’amplifie le tunnel des noisetiers et que modulent les roseaux de la mare. Des vesses de loup ont poussé sur l’herbe du chemin, toute la combe est dans la brume et comme fragmentée en une multitude d’estampes inachevées : explosition d’automne, si j’ose dire.
Sous la pluie les oiseaux se taisent, leur chant ne porterait pas. Même les cerfs se découragent de bramer, comme dans ce haïku touchant : « Il brama trois fois, puis on ne l’entendit plus, le cerf sous la pluie… » On peut en un sens considérer que le territoire est momentanément vidé d’une partie de ses habitants dont les cris et les chants sont comme une expansion, et une façon d’habiter sans posséder. C’est l’eau dès lors qui prend possession des lieux, par l’averse, les flaques, les rigoles, les nants, le torrent qui déborde. Les impatientes ne sont pas en reste qui, penchées sur le sentier, se servent de mon passage pour faire exploser leurs capsules de graines. Et moi aussi, comme l’eau et ces fleurs invasives, j’occupe le terrain par ma déambulation et ma parole réitérée qui prend appui sur le rythme de la marche, scandé lui-même par les sons de l’averse et du torrent que je ne perçois pas en continu mais entrecoupé par le choc de mes bottes sur le sol répercuté jusqu’à mon crâne.
Dans ces moments-là, l’idée que je puisse être étranger à mon lieu, comme un intrus ou un touriste, ne saurait m’effleurer (je ne l’ajoute qu’au retour, en mettant mes notes au propre). Quand il pleut tout est relié, de façon mieux visible, bien sonore, la terre et le ciel, les bêtes et les plantes, l’homme avec ses chiens, tout ce qui bouge, tout ce qui vit et se nourrit d’eau, tout ce qui fait le lieu.
Un passereau lance un trille entre les gouttes. Limaces et escargots célèbrent en calligrammes scintillants tracés sur la mousse ce monde fluide, lié, vivant, non pas tant harmonieux qu’accueillant, où chacun prend sa place en son territoire d’automne.
05/09/24