Vigie, novembre 2024

 

D’un cyborg vert

 

 

En ce soir de tiédeur effarante où l’on voit des merles déboussolés se demander s’il faut tout de suite refaire les nids et où mes voisins blaireaux doivent se demander s’il faut ou non évacuer les feuilles qui isolent leur terrier, je trouve avec plaisir au courrier le numéro de la revue Goéland consacrée à Kenneth White.

L’objet, publié par Nouvelles Traces, est de belle facture, je me réjouis d’y avoir participé à l’amicale invite de Georges Amar – et avec le soutien de Jean-Paul Loubes, qui a résisté parait-il aux pressions prévisibles d’un certain malotru qui voulait m’évincer –, et je me réjouis plus encore de la soirée de lecture qui s’annonce.

Je retrouve en ouverture la plume de Georges, toujours précise et nuancée – qui, en passant, rappelle pertinemment l’importance du travail sur le « moi » dans le triptyque moi-mot-monde cher à Kenneth White (il faudra y revenir). Je retrouve des mots familiers, souris de certains raccourcis, de certains clichés sur la nature « vierge » avec laquelle on « communie » … M’intéresse particulièrement le lien fait entre la géopoétique et la « libre évolution », mais le thème n’est qu’effleuré, qui mériterait des chapitres entiers de développements et de précisions – ce qui n’est pas possible dans un ouvrage collectif où chacun se doit d’être concis.

Puis vient l’article de Jean-Paul Loubes consacré à Kenneth White et l’écologie.

Je m’attends à de stimulants développements sur les rapports entre la géopoétique et les récents travaux évoqués ici-même, ou à une réflexion sur l’apport essentiel de l’écologie scientifique et de l’éthologie contemporaine pour appréhender un tant soit peu finement notre monde et tous ses habitants non-humains, mais le choix a été fait d’aborder l’écologie politique – au sens le plus étroit. Bon. Pourquoi pas ? White lui-même a suffisamment dit la nécessité d’œuvrer aussi concrètement à la protection des écosystèmes, lui qui s’est engagé à plusieurs reprises de façon très directe en Bretagne – comment entretenir un rapport riche, dense, intelligent et complexe avec un monde saccagé ?

Je commence cependant à tiquer quand, pour la troisième fois, l’adjectif « écologiques » est accolé au nom « facéties » car, de fait, la cible de cette diatribe n’est pas le dénialisme climatique de l’extrême-droite ni le capitalisme, mais la « bien-pensance environnementaliste » en général et l’« activisme d’opportunité (…) labellisé EELV » en particulier. L’auteur s’en prend pêle-mêle à divers gadgets plus ou moins risibles, aux dégâts causés par les panneaux de cellules photovoltaïques, à l’écriture inclusive – pour tirer à boulets de plus en plus rouges, donc, sur cette expression secondaire de l’« écologie ».

Je ne pratique pas l’écriture inclusive, mais je respecte celles et ceux qui en usent, pour des raisons auxquelles je suis sensible. Jamais je ne les traiterai ainsi de crétins. On sait le poids du virilisme dans le saccage de la planète – et c’est hélas un point mort de l’œuvre de Kenneth White, où les femmes et le féminin en général n’occupent aucune place. Je n’ai pas plus de sympathie que Jean-Paul Loubes pour le « greenwashing » et « l’écologisme de grande consommation » (même si le terme me semble confus). Mais quand il en vient à reprendre à son compte et comme une évidence les propos insultants de Michel Onfray contre la militante Greta Thunberg, traitée de « cyborg suédoise », je ne peux plus suivre, et je le prends comme un crachat à la figure.

On sait, si on s’est un peu renseigné, comment les chantres de l’extraction ont tout fait pour discréditer Greta Thunberg en s’attaquant à elle de cette façon. En quoi ces propos dignes du Figaro ou de Minute (je viens de vérifier, ce torchon qui se revendique « politiquement incorrect », existe encore…) aident-ils à mieux saisir la hauteur de vue de Kenneth White ? Est-ce que, vraiment, il n’y a pas dans le champ politique – si on veut absolument s’y risquer – d’autres adversaires prioritaires que les militants écolos, qui font ce qu’ils peuvent sur le terrain miné de la politique et dans un contexte où il est plus que jamais de bon ton de se gausser d’eux ?

Si je suis et je reste profondément intéressé par l’espace géopoétique (hors diatribes fielleuses et revendications territoriales d’idolâtres sectaires adeptes des guéguerres picrocholines), seules les lignes publiées sous mon nom dans ce volume collectif naturellement m’engagent. Je reparlerai d’écologie plus tard dans un autre contexte, resistance is futile – parole de cyborg vert de rage !

24/11/24

 

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