« Je est un nous »
En une seule nuit le peu de neige a fondu et le froid si bref a laissé place au redoux printanier, comme si l’hiver était déjà passé. Nouchka se roule dans l’herbe fraîchement tassée par la sieste d’un chevreuil. La chasse de ce matin aussi s’est achevée, on n’entend plus de coups de feu. Lumière d’avril, fatigue de novembre. Un âne braie en fond de combe.
Après une longue matinée de lecture passée en compagnie de Je est un nous de Jean-Philippe Pierron, je repars à travers les champs et les bois. Ce qui aussitôt me saisit, ce n’est pas tant la tiédeur incroyable de l’air que son odeur indubitablement printanière, et le vrombissement des abeilles à cent mètres des ruches. Dans les bois, ce n’est que cris d’oiseaux. Un redoux si radical, même s’il est provisoire, ne peut qu’inquiéter, mais on savoure quand même l’escapade.
La lumière impitoyable de mars pénètre le bois à travers les feuillages dénudés. Je me demande si le grand châtaignier et le petit chêne en lisière s’inquiètent de la probable multiplication des parasites. Cherchant à éviter une silhouette humaine occupée à tronçonner les branches, je m’égare dans les broussailles, que je franchis à quatre pattes, débouchant enfin sur les hauteurs de La Martinette en plein soleil.
Grande paix printanière, grand calme heureux. Dans le ciel immensément bleu passe le grand express silencieux d’un long nuage. Les aboiements des chiens de chasse du chenil d’en face se mêlent à la plainte des tronçonneuses au loin. Rien ne frémit dans l’air trop tiède. Au Kazakhstan la COP 29 s’est terminée comme on pouvait s’y attendre sur un accord pitoyable, autant dire un désaccord, et c’est le grand « désaccord des éléments » qui nous rattrape.
Les corneilles l’ignorent, dont un couple parcourt consciencieusement la terre molle riche en lombrics. J’ai lu dans Vivent les corneilles je crois qu’une corneille accoutumée à un humain et ne comprenant pas pourquoi ce curieux bipède refusait d’avaler les présents de lombrics qu’elle tentait de lui rentrer de force dans la bouche, avait fini par les lui fourrer dans l’oreille ! Aucun risque avec ces deux-là, qui restent à distance.
Je m’attarde longtemps sur le château d’eau, à la lisière ensoleillée, près d’une souche très dégradée où les champignons ont tracé une carte en relief, la paume posée sur le tronc d’un très grand hêtre…
24/11/24