Vigie, novembre 2024

 

Comme une lampe posée dans l’herbe

 

 

 

Cette image matinale m’apaise.

Le soleil n’est pas encore levé, la lumière est très douce, rosée, tamisée par les nuages sur lesquels se reflètent les lueurs de l’aube, et cette couleur étrange fait ressortir les couleurs automnales du grand châtaignier qui, ainsi éclairé, semble lui-même émettre de la lumière, comme une lampe posée dans l’herbe. Les vaches et les veaux se tiennent rassemblés autour de l’arbre et viennent à la rencontre de Nouchka, qui les regarde longuement : rencontre inter-espèces, chiens, vaches et homme, rencontre inter-saisons dans ce moment d’entre-deux où le soleil n’est pas encore visible mais irradie quand même ; puis le jour blanchit et l’image s’efface.

On retrouve la forêt riche de branches cassées, de vieilles souches, de vieux troncs écorcés criblés de trous mais encore debout, et de troncs effondrés présentant tous les stades de la décomposition. Il y a ici, le long du Gelon, des frênes, des châtaigniers, des bouleaux, des hêtres, des sapins, des épicéas, sans compter les chênes en lisière. C’est peu dire que le lieu reste humide, grâce au torrent et à tous ses affluents, et l’on se dit que cette forêt qu’on jugeait il y a peu décevante est appelée à devenir très belle dans les prochaines décennies, si on la laisse un peu tranquille et que les scolytes épargnent encore un peu les épicéas qui sont encore nombreux…

Il paraît que les chênes, pour se défendre des attaques, émettent (entre autres) des ions négatifs que l’homme ressent aussi parce qu’ils diminuent le cortisol, l’hormone du stress chronique. Se promener en forêt serait ainsi un bon antistress. J’écrivais autrefois, à La Giettaz, « mon cœur n’est pas en paix, même dans cette forêt dont le langage me reste obscur ». Cela reste vrai. L’apaisement, tout comme l’attention et l’émerveillement, reste intermittent. Je l’ai ressenti tout à l’heure devant cette image du châtaignier dans la lumière, je le ressentirai peut-être au prochain croisement – ou bien la longe se prendra dans ma botte, je tomberai lourdement, je pesterai contre le monde entier et je reviendrai en boîtant…

Voici cependant que l’on débouche sur le grand pré d’en haut, où quatre chevreuils broutent paisiblement. Je garde finalement en tête la fresque mouvante de leurs silhouettes ponctuées de blanc, à peine visibles au bout du champ encore sombre.

05/11/24

 

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