Vigie, novembre 2024

 

Cheg et Vara

 

 

L’humidité retombe sur la vallée, en cette lisière où me voici de nouveau embusqué. Le vent arrache leurs feuilles aux chênes par poignées. Rimski et Nouchka patientent en rongeant un bout de bois. Je rentre mes mains dans mes poches et regarde sur l’écran du portable les images de la nuit. C’est la première rencontre avec le couple de blaireaux qui habite le terrier devant lequel j’ai placé la caméra. Il y a le mâle, massif, très sombre, et la femelle plus fine et plus claire, qui vont et viennent autour de leur terrier et finalement se livrent à une longue séance de toilettage réciproque ô combien touchante. Éric propose ultérieurement de nommer le mâle Cheg, et la femme Vara – d’accord, ce sera Cheg et Vara, deux blaireaux révolutionnaires, pour réinventer la conservation de la nature par-delà le capitalisme (sous-titre du livre Le vivant et la révolution, de Bram Büscher et Robert Fletcher)…

Très gros plan sur le gros museau de Cheg qui farfouille, et l’on entend même sa respiration. Puis voici Vara qui rapplique à son tour et rentre dans le trou. Il est très émouvant de pouvoir ainsi surprendre des fragments de leur vie. Je sais qu’à une quinzaine de mètres d’ici ils sont occupés à dormir, recroquevillés au fond de leur terrier. Je cherche des traces. Je trouve des poils de blaireaux, des crottes de mulot et de chevreuils aussi, et leurs empreintes dans la terre. Je ne m’attarde pas.

J’ai froid aux mains, froid dans le dos, j’aurais dû me couvrir davantage mais j’aime retrouver cette sensation-là. Parler de solitude dans un monde à ce point peuplé de présences serait absurde. Je sais que si je restais encore un moment caché ici avec les chiens, je verrais les chevreuils revenir, et puis, à la nuit tombée, Cheg et Vara, mes blaireaux ! Pour une fois, je connais des bêtes qui ne me connaissent pas, je vois sans être vu : cela me remplit de joie.

13/11/24

 

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