La grande traversée
Grand ciel clair, neige au soleil, le brouillard s’est replié en fond de combe dans la vallée. On traverse. On traverse le grand champ trempé sous l’œil éberlué des veaux qui n’en reviennent pas de tant d’altérité canine et humaine et qui meuglent à notre adresse. On traverse les clôtures qui séparent les terrains, à chaque fois on se met à quatre pattes comme les chiens avec les mains dans l’herbe froide. On traverse les barrières des espèces, on se fait un peu chêne devant le grand chêne, on partage avec le châtaignier quelque fines épines de bogues enfoncées dans la paume, on songe à Cheg et Vara qui à cette heure ont regagné leur tanière et dorment pelotonnés l’un contre l’autre. On traverse de vastes pans de silence peuplé d’appels qu’on comprend mal mais qu’on perçoit. On traverse le temps, le grand bois de l’enfance des enfants, dix-sept ans de promenades en ce lieu où l’on ne se lasse pas de tourner en rond. On traverse des moments de totale frénésie, au croisement des chevreuils, puis des nappes d’étrangeté quand, les paupières mi closes dans la brise, on croit entendre, au lieu des corneilles, le cri des oies sauvages. On fait présent au gouffre d’un blason parfumé. On fait des provisions de feuilles fauves dans la tête. Ainsi, on traverse novembre : on est à mi-parcours.
15/11/24