Vigie, février 2025

 

Hérons, geais, grenouilles et renard

 

 

Temps doux. Le vrombissement des abeilles dans les noisetiers en fleurs répond au ronronnement les grenouilles de la gouille. Il y a beaucoup d’agitation chez les oiseaux, et même des escarmouches bruyantes et théâtrales entre hérons et corneilles. Le ballet des geais a repris de plus belle : j’en observe un qui fourrage longuement parmi les feuilles (on accuse parfois les geais de n’être que des pilleurs de nids, mais les études montrent surtout que ce sont d’excellents disperseurs de graines, le « pillage » des couvées étant rapidement compensé par de nouvelles pontes ; cette façon qu’ont beaucoup de mes congénères humains de classifier les bêtes en deux catégories, « bonnes » ou « mauvaises », au mieux me laisse perplexe et au pire m’exaspère).

Je viens d’écrire « hérons », au pluriel. C’est qu’aujourd’hui vient d’avoir lieu sous mes yeux un petit événement : comme j’observais une troupe de verdiers près de la mare, j’ai eu la surprise de voir s’envoler deux hérons. Cela fait plus d’une dizaine d’années que je n’en vois jamais qu’un seul, toujours le même. Peut-être une héronnière va-t-elle surgir ici ? Il est probable qu’il s’agit plutôt d’une visite de courtoisie liée à l’opportunité d’un festin de grenouilles. (Quelques jours plus tard, occupé à ramasser les dites grenouilles le long de la route, je croise T. qui fait de même. La conversation en vient aux hérons. « Tu les aimes aussi, les hérons ? Eh bien, observe-les bien, parce que bientôt il n’y en aura plus qu’un. » Ce sont des paroles de menace, peut-être proférées à la légère – je ne sais pas si T. irait jusqu’à tirer sur une espèce protégée, car c’est un chasseur consciencieux – mais qui me blessent en faisant planer une ombre durable sur la joie que j’ai à les voir. Parce que T. ne voyait pas de hérons quand il était jeune, il les considère comme des invasifs qu’il convient de chasser, sans tenir compte du fait que l’espèce n’a commencé à retrouver son aire naturelle de répartition qu’assez longtemps après avoir fait l’objet d’une protection intégrale elle-même bien tardive, en 1975 : l’amnésie écologique et l’anthropocentrisme une fois encore faussent le jugement.)

Je regarde un moment les grenouilles, les femelles gonflées aux ventres violacés, les mâles d’un vert d’eau livide. À demi immergées, elles croassent en cadence au milieu de leurs pontes. Six ou sept mâles s’obstinent à copuler avec un cadavre de femelle.

Pendant ce temps la petite renarde qui visite chaque jour la taissonière et qui habite peut-être le terrier solitaire repéré un peu plus loin en lisière, fait son tour habituel. Son œil gauche s’est infecté, ce qui naturellement me navre.

Cinq corneilles occupent le grand champ, qui s’envolent à contrecœur à notre approche. La longue plainte du pic noir résonne dans la hêtraie, puis je finis par l’apercevoir filant entre deux troncs.

22/02/25

 

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