Vigie, mars 2025

 

Universelle stupeur

 

 

Une brève averse de fins grêlons s’abat sur la forêt, puis se transforme en pluie fine qui elle-même se dissout en vastes pans de brume pour laisser bientôt place au grand soleil ruisselant de mars. Profitant de l’accalmie qui frappe le paysage de tâches de lumière là-bas sur la colline aux blaireaux – mais c’est déjà éteint – ou sur le grand pré aux chevreuils – mais ça ne dure pas –, on repart faire le tour habituel, dans le même sens pour ne pas surprendre les chevreuils.

La caméra du Grand Creux a enregistré quelques plaisantes visites de chevreuils, de renards et de sangliers qu’on visionnera au retour. Dans le pré autour de la mare on trouve plusieurs cadavres de grenouilles : s’il y a des cadavres, c’est qu’il y a de la vie, encore beaucoup de vie cette année, beaucoup de grenouilles dans la gouille. Elles ont fait ce qu’il fallait, elles ont frayé, et j’imagine que même si la sécheresse risque de réduire à peu de choses leurs efforts elles sont mortes tranquilles, qui peut savoir, avec le sentiment du devoir accompli ? Nous avons en partage avec les autres animaux cette façon de passer, ces grandes étapes de nos vies qui conduisent inéluctablement au basculement final. Je lis dans les yeux globuleux de la grenouille morte une sorte d’universelle stupeur dont je ne suis pas certain qu’elle soit seulement une projection humaine.

Les chevreuils, ce matin, n’occupent pas le « champ aux chevreuils » qu’il faudrait plutôt rebaptiser champ aux buses (le couple comme toujours s’envole et crie à mon approche) ou champ aux corneilles (toujours les mêmes quatre qui fourragent dans l’herbe…). Je m’assois en lisière. Je regarde et me tais.

13/03/25

 

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