Journal d’un méliphile, juin 2025

 

Le blaireau par la queue (obs. 13-15/06)

 

 

13/06/25, chaud et sec, 24°C.

20h25, bas, les museaux de Vara et d’un des blaireautins presque en même temps émergent du terrier, une truffe à gauche, une truffe à droite, la symétrie est superbe et s’il n’y avait que les museaux on serait bien en peine de les distinguer, mais c’est avec un nouvel élan que je me lance aujourd’hui dans l’impossible quête de l’Individuation.

Je m’y prenais à l’envers ! La queue, pas la face ! C’est par la queue qu’on peut (peut-être) les attraper, je veux dire, les distinguer, comme on distingue les grands cétacés à leurs nageoires ! Do Linh San l’évoquait brièvement, mais c’est un article de Yann Lebecel qui me l’a remis en tête : « La queue des blaireaux (…) peut avoir une longueur et une forme très variables suivant les individus. Bien que cette caractéristique semble pouvoir changer au cours de la vie d’un blaireau, cette technique s’avère efficace lorsqu’elle est appliquée sur une période relativement courte, pour peu que les blaireaux se positionnent correctement par rapport à l’observateur ou au piège photographique… »

Je regarde donc avec une attention renouvelée ce joli motif des museaux symétriques, puis la sortie de Vara qui descend le long du toboggan, se retourne et m’offre un premier cliché de sa queue (ce qui ne m’intéresse que modérément car son ventre flasque aux mamelles pendantes la rend pour le moment très bien identifiable). Courage suit le même chemin et m’offre le deuxième cliché d’une queue très différente, plus petite, ornée de part et d’autre de deux épis qui donnent l’impression d’une queue à trois pointes (mais c’est peut-être parce qu’il n’a pas eu le temps de se brosser, il faudra attendre d’autres vues), queue en trident qui me donne envie de le rebaptiser Neptune…

21h18, haut, juste un dos qui dépasse, on ne voit pas la nageoire, je veux dire la queue (certaines confusions peuvent se glisser dans ces lignes car 1. je visionne ce film tard dans la nuit 2. je lis en parallèle le dernier numéro de la revue Reliefs consacré à l’océan). Une autre image prouve que ce n’est sans doute pas Courage, mais Prudence, qui se glisse sous une branche. Je prends un autre cliché de la queue vue côté gauche.

22h08, Prudence revient devant la gueule du bas et, oui, ça semble marcher, je reconnais sa queue ! (Cliché n°3, vue côté droit.)

3h35, esplanade du haut, un blaireau sur le dos fait sa toilette. L’image, granuleuse, ne permet pas de distinguer très bien le ventre, la queue, l’entre-cuisse, mais c’est sans doute Prudence encore, qui s’allonge tout à fait sur le dos dans une position très droite, un peu raide, comme une loutre qui fait la planche pour manger un poisson sur son ventre – mais elle ne mange pas, s’épouille puis roule dans le terrier.

4h08, Prudence repasse exactement sous la même branche et m’offre la même image qu’à 21h18. Elle repasse dans l’autre sens sous la branche à 4h11, puis se rend à la gueule du bas où elle s’immobilise, se gratte machinalement, hume. Le vent souffle. Elle se dresse contre la racine, queue bien visible (cliché, aucun doute, c’est bien Prudence) puis remonte en courant sur l’esplanade du haut et l’on entend, hors champ, des bruits de feuilles foulées. Elle redescend le toboggan à 4h26, repasse par l’esplanade à 4h26, toujours en solo.

5h03, toilette encore sur l’esplanade du haut, les oiseaux donnent déjà de la voix.

6h02, gueule du bas, Vara revient avec Courage. Prudence arrive juste après en courant, et rentre dans le terrier.

 

14/06/25, chaud et sec, avec une brève averse en deuxième partie de nuit, 25°C.

18h36, Courage-Neptune sort sur l’esplanade du haut, suivi de Prudence.

21h45, un blaireautin s’en va, l’autre reste au terrier, puis s’en va peu après (queues peu visibles), revient, s’en va (cela semble être Prudence).

21h57, aller-retour de Prudence par le toboggan du bas, puis elle s’installe comme hier sur le perron, se risque dehors, se précipite à l’intérieur.

22h24, Prudence ressort, bâille, bâille fort à s’en décrocher la mâchoire, ce qui est encore possible chez les jeunes dont la mandibule inférieure n’est pas encore soudée au reste du crâne, mais ne l’est plus chez les adultes, cette particularité squelettique permettant  d’après Do Linh San « un renforcement du pouvoir masticateur » ou « une augmentation de la précision de l’occlusion et de la morsure » – j’ajoute : « un renforcement de la capacité à bâiller », ce qui est très utile par les longues nuits d’été. Tout en bâillant, Prudence écarte toutes les griffes de sa patte avant droite et s’étire en une parfaite posture de yoga.

Mais voici que tout à coup retentissent ce qui ressemble à des coups de feu, en fait des tirs de feux d’artifice, qu’au même moment j’aperçois depuis la voiture d’Élodie de retour d’une conférence sur le lynx. Prudence se jette dans le terrier. Rétrospectivement, je trouve infiniment troublant de pouvoir vivre ce même moment des tirs de feu d’artifice (pour lesquels j’ai manifesté ma désapprobation à cause du temps de nouveau très sec et des risques d’incendie, sans songer à la réaction de la faune), à la fois de mon point de vue et de celui du blaireautin effrayé…

22h30, juste un dos qui émerge du terrier du haut : Prudence envisage de ressortir.

23h06, même endroit, et, joie, les blaireautins sont réunis et jouent de nouveau ensemble, ça leur manquait, ça me manquait ! La lutte entrecoupée de courses poursuites est vive.

23h39, Prudence en solo sur le perron du bas mâchonne une brindille, puis se gratte fortement. Cliché de sa queue, qui est un peu évasée, en amphore – tiens, Neptune et Amphore, comme surnoms, cela vous donne tout de suite un air de Grèce antique…

23h45, Prudence-Amphore attend sur l’esplanade du haut.

0h47, retour de Vara à la gueule du bas. (Cliché de sa longue queue qui pend, assez droite.) Elle monte puis redescend, rentre dans le terrier, ressort par la gueule du haut (ce qui confirme une fois de plus que les deux communiquent), puis s’en va par le haut. Il commence à pleuvoir.

0h50, l’averse tombe en crépitant sur le panneau solaire, Vara rôde sur l’esplanade.

3h40, bas, Prudence flaire l’entrée du terrier.

5h27, bas, retour de Vara et Courage, qui joue à escalader une racine. Je constate que le « trident » n’est pas si visible, cela dépend de l’angle de vue. 5h35, les deux blaireautins sont avec leur mère, que l’un commence à épouiller – puis la séance devient collective, et se transforme en lutte entre les jeunes.

 

15/06/25, chaud et sec, 19°C.

19h50, gueule du bas, le trio émerge ; Vara descend, Courage frotte ses fesses sur Prudence (ou l’inverse car il m’est impossible de les distinguer). Puis Vara s’en va et les blaireautins reprennent leur jeu et leur posture habituelle en blaireaux de faïence, de chaque côté du perron (ils sont là, qui prennent la pause en miroir l’un de l’autre, et l’on dirait deux jumeaux qui prennent un malin plaisir à empêcher les adultes de savoir qui est qui). Cliché de Courage dont on voit de nouveau la queue en trident. Il dégringole à droite, puis Prudence suit à gauche.

20h, retour de Prudence, cliché de sa queue en amphore. Le blanc de ses oreilles me semble également un peu plus éclatant… L’attente solitaire reprend, avec toujours les mêmes gestes, humer, se gratter, regarder alentour, filer sur l’esplanade.

21h57, 3h55, bas, brefs aller-retour de Prudence, je pense.

4h14, retour de Vara suivie des deux blaireautins. Tous trois descendent le toboggan en courant. Bruits de feuilles hors-champ. Puis plus rien. Rien du tout.

Pendant trois jours il n’y a plus aucune trace d’activité autour du terrier, si ce n’est un écureuil et quelques mulots forestiers.

 

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