Journal d’un méliphile, juillet 2025

 

Au mélimètre près

 

 

Armé d’un ruban de mesure de cent mètres, je pars dans le bois avec Clément pour faire enfin un schéma complet et précis du terrier des blaireaux et de ses dépendances, pendant que ses anciens habitants sont occupés ailleurs. Ça y est, je joue encore les savants en herbe, il faut voir la dégaine ! Et c’est vrai que c’est drôle, c’est comme un jeu d’enfant que de s’improviser naturaliste-géomètre, et Clément, de fait, ne s’est pas fait prier pour venir.

On relève d’abord la carte de la caméra du bas qui surveille l’« autoroute » : une laie aux mamelles très apparentes et un autre sanglier assez gros sont venus, et puis la biche et son faon sont passés, très pressés, ce qui permet de constater que le faon a bien grandi en vingt jours ; mais aucune trace des blaireaux.

Nous voici au terrier, où règne un calme chaotique. Je m’assure que les blaireaux ne sont pas revenus, auquel cas l’opération serait annulée : sans surprise, les deux caméras n’ont pris aucune image. Je donne les consignes : on fait vite, on ne marche pas au-dessus des gueules pour ne pas risquer d’endommager les galeries, on laisse aussi peu de marques que possible — ce qui, dans la pente particulièrement instable, relève de la gageure.

Deux bonnes heures sont nécessaires pour faire le tour des vingt gueules identifiées avec certitude, en laissant de côté celles qui semblent vraiment bouchées, oubliées depuis des décennies, et les trous qui ne mènent à rien. « Les gueules que l’on a sous les yeux sont-elles toutes reliées par des galeries ou appartiennent-elles à des ensembles différents ? À partir de quelle distance entre deux gueules peut-on supposer qu’elles font partie de terriers distincts ? » s’interroge François Dunant. L’excavation de trois terriers en Suisse a permis d’arriver au constat que « dans une galerie, le point le plus éloigné peut se trouver à environ 9 mètres des entrées les plus proches. »

« Roper (2010) reproduit l’image d’un terrier dont deux gueules sont séparées par environ 18m de galeries. Nous retrouvons la distance de 9m à partir de chacune des gueules. Dans le cas où deux galeries rectilignes de 9m ou 10m viendraient à se rejoindre, nous pouvons admettre que deux gueules distantes de quelque 20m pourraient être reliées. Ces chiffres nous incitent à considérer jusqu’à preuve du contraire que deux gueules distantes de plus de 20m appartiennent à deux terriers distincts. D’où la définition proposée : Un terrier est un ensemble de gueules que l’on suppose, au vu de leur proximité (<20m), reliées entre elles par un ensemble de galeries ». (François Dunant, Les blaireaux dans le canton de Genève.)

Si l’on part de ce principe que deux gueules séparées de vingt mètres peuvent encore être reliées, il est possible que le terrier annexe et les terriers subsidiaires 1 et 2 appartiennent au même réseau du terrier principal (soit 16 gueules en tout), mais la configuration du terrain rend plus probable une autonomie des terriers. La notion même de « terrier subsidiaire » reste aussi sujette à caution, car l’ampleur des cônes de déblais observés sur certaines gueules laisse imaginer autrefois une tout autre configuration : il fut certainement un temps où le terrier que j’appelle « subsidiaire 2 » était le principal, et dans un temps plus ancien encore le subsidiaire 3, dont une seule gueule très grande (peut-être trop du point de vue de la sécurité), ne comporte plus que des gueules partiellement obstruées.

L’ensemble frappe néanmoins par sa cohérence : les deux terriers subsidiaires sont éloignés à droite, en bas et à gauche du terrier principal de 21 à 23 m, avec un sentier périphérique près du sentier qui comporte deux gueules autonomes, et un autre à cinquante mètres de là, presque en lisière du champ. Un blaireau surpris ou pourchassé sur le chemin du retour du torrent ou des prés pourrait s’y réfugier.

Le soir venu, je mets au propre le relevé. Je me promets de ne pas y retourner avant la semaine prochaine. (Au même moment, je l’apprendrai plus tard, le piège photographique de l’esplanade enregistre l’image d’un visiteur très inattendu : après avoir traversé le village, la route, le pré et une partie du bois, mon chat Plume – le bien nommé, car il est doux comme plume et, malheureusement, adore les oiseaux – apparait à 22h57 sur l’esplanade du terrier principal, ajoutant encore son odeur aux nôtres…)

25/07/25

 

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