Orage sur la Citadelle
Je dévale la sente désormais familière qui mène à la Citadelle, dans un concert de craquements, de grincements, de battements de feuilles, et parfois cela siffle comme une voile tendue par le souffle de l’avant-tempête. Le tonnerre gronde au loin, pas très loin. J’installe quand même le siège d’affût et le filet de camouflage que je coince sous une branche. Ces gestes associés à la moiteur prodigieuse du sous-bois me ramènent au temps des carbets guyanais.
Hier l’orage a enfin éclaté pour la première fois depuis le début de cette deuxième vague de canicule. Pour violent qu’il ait pu être sur les crêtes frappées d’éclairs, il n’a pas été accompagné de grêle mais d’une bonne pluie rassérénante. À 23 heures, Vara est repassée au terrier du Villard. Elle est entrée par la gueule 1, ressortie par la 3 sous la pluie battante, pour une simple visite de propriétaire en vacances. Je pense plus que jamais que mes blaireaux nomadisent d’un abri à un autre, se suivant parfois par les pistes d’odeurs mais en solo le plus souvent, comme le font toujours ces sociaux paradoxaux que sont les blaireaux.
Les études d’Hans Kruuk, confirmées par Roper, montrent en effet que les blaireaux ne se retrouvent ensemble que pour dormir, serrés les uns contre les autres dans les mêmes chambres. Il n’y a chez eux nulle sentinelle qui alerterait le groupe d’un danger, comme chez les marmottes – si un blaireau voit une menace que les autres n’ont pas vue, il déguerpit sans rien dire ! Les images de rassemblements plus ou moins importants autour des terriers sont sans doute trompeuses, puisqu’ils passent la plus grande partie de leur temps du dehors en cueillettes solitaires. Les expériences réalisées sur un groupe de blaireaux captifs montrent en outre les grandes tensions et la violence qui peuvent agiter une communauté de blaireaux, ce dont attestent les blessures fréquemment observées sur les blaireaux sauvages au cou et à la queue. Toutes ces scènes de tendresse et de jeux que j’ai pu observer (et qui sont celles qu’on peut le plus facilement observer lorsque les blaireautins commencent à peine leur exploration du monde extérieur), ne sont pas trompeuses, mais elles sont partielles. Je ne veux pas me complaire dans un blaireau rêvé, amputé de la part de violence inhérente au sauvage. Je voudrais le blaireau tout entier, et c’est encore lui que je guette, que j’espère, tapi dans cette forêt mouvante…
Mouvante, elle l’est même un peu trop, me dis-je en regardant les charmes s’entrechoquer. La pluie de feuilles se transforme en averse de brindilles, de branchages, puis en averse tout court car il pleut à présent et même, grondement, tremblement, il grêle finement. La pluie fait sortir les vers, les vers font sortir les blaireaux, et si la Citadelle est encore habitée les conditions sont idéales pour voir ses habitants, me dis-je en essayant d’y croire, juste avant que la chute d’une branche un peu grosse à vingt mètres de là me pousse à plier bagage en vitesse.
Je fais quand même un crochet jusqu’au piège pour en récupérer la carte, ce qui me donne l’impression de ne pas rentrer bredouille, puis je file me cacher dans l’habitacle de la voiture.
La caméra ballottée par le vent, et qui affiche une date aberrante, n’a filmé que le derrière d’un chevreuil.
Les blaireaux de la Citadelle tout comme ceux du Villard sont en vacances, et me voici condamné à faire des rondes de surveillance devant leurs demeure délaissées tout comme ces policiers qui ne prennent pas de vacances, eux, et surveillent les villas des veinards partis bronzer ou cramer sur les plages. Plutôt qu’à la plage je les imagine cependant occupés à se gaver de pommes et se réjouissant comme moi du retour de la pluie…
15/08/25