Journal d’un méliphile, août 2025

 

Le monde mystérieux des blaireaux

 

 

Le photographe Bernard Boule témoigne sur la toile de cette histoire traumatisante qui lui est arrivée en affût près de Neuchâtel. Depuis cinq mois, il suivait une famille de blaireaux ainsi que je le fais, et avait invité ce soir-là un ami. Le premier blaireau est sorti à l’heure habituelle, mais deux chasseurs ont surgi aussitôt, équipés de caméras thermiques et de jumelles. L’un des chasseurs s’est posté, fusil chargé, devant les naturalistes, pendant qu’un troisième entre temps se plaçait derrière eux, sans qu’ils l’aient vu venir : c’est lui qui, par trois fois, a tiré sur le blaireau, au mépris de toutes les règles de sécurité humaine autant que d’éthique. Le message était clair. « J’espère que vous an avez bien profité, de votre blaireau, parce que maintenant c’est fini. »

La simple menace, formulée à mon égard par un chasseur vis-à-vis du héron pour lequel je disais ma sympathie, avait suffi à me rendre paranoïaque pendant trois semaines ; je n’ose imaginer l’état dans lequel je serais si pareille chose m’arrivait. Bernard Boule dit ne pas avoir pu dormir ensuite. « J’ai encore les trois coups de feu dans mon dos qui résonnent ». On le comprend.

 

Pour tenter d’éviter la nuit de cauchemars que je sens se profiler, je déploie le grand écran pour regarder le documentaire britannique en deux épisodes de Claudia Riccio Le monde mystérieux des blaireaux (2023).

Bien sûr, ce documentaire souffre des défauts inhérents au genre : une scénarisation inutile (lorsque la scientifique fait mine de découvrir devant le terrier le crâne de blaireau qu’elle va commenter), quelques approximations, des niaiseries dispensables sur la Saint-Valentin, des effets lyriques et dramatiques trop appuyés, une musique envahissante qui empêche de bien entendre les cris des blaireaux, etc. Il n’empêche que c’est un grand bonheur de découvrir ces images prodigieuses filmées dans la campagne du Gloucestershire, autour d’Oxford, où l’on trouve la plus grande densité de blaireaux au monde.

Cela semble de fait un autre monde, que celui de ces grands rassemblements sautillants autour de terriers gigantesques. Une méliphile qui a installé un terrier artificiel muni de caméras parvient à donner à voir, sans doute pour la première fois, la mise au monde de trois blaireautins, dont un sera mis de côté et abandonné par la mère et les deux autres élevés jusqu’au bout. Ces séquences révèlent le plus caché de la vie des blaireaux.

Un autre amateur qui les attire avec des cacahouètes (en complément limité pendant la période sèche, précise-t-il) les observe, tranquillement assis sur un banc avec son chat près de lui. « Les livres ne disent pas ce que je vois en les regardant vivre. J’en apprends tous les jours ! » Voici donc une séquence où l’on voit les blaireaux se mêler aux brebis, entrer en contact avec elle, se blottir contre leur pelage même – de quoi ridiculiser les rumeurs (malheureusement appuyées par une image imprudemment publiée par Hans Kruuk en 1989) selon lesquelles les blaireaux attaquent les brebis. Voici également filmée la rencontre entre un jeune blaireau et un renard qui se mettent à jouer ensemble, puis l’interaction entre loutre et blaireau — la loutre faisant déguerpir le blaireau. On suit par ailleurs la reconstruction d’un blaireau grièvement blessé par des coups portés sans doute par un humain inhumain au museau, ainsi que la vie trépidante du « Clan des Jacinthes ».

Voir en une seule image autant de blaireaux est fascinant, pour moi qui n’en ai jamais vu simultanément plus de trois. La distinction entre mâle et femelle apparaît bien plus visible que lorsque j’observais Cheg et Vara, le mâle étant sur ces images nettement plus massif, avec des bajoues bien marquées.

Le paradoxe de ce pays où les blaireaux sont aimés, étudiés, protégés dans la mesure du possible de la violence individuelle, mais tués par milliers pour hypothétiquement lutter contre la tuberculose bovine, n’est pas questionné, mais bien illustré. Le film s’achève sur des images montrant la vaccination expérimentale des blaireaux, dont on espère qu’elle mettra fin aux campagnes d’abattage.

 

Ce visionnage me fait rêver toute la nuit de blaireaux insouciants de l’homme et de terriers immenses.

26/08/25

 

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