Journal d’un méliphile, août 2025

 

Comptes à rebours

 

 

J’ai vu que je suivais un sentier de blaireaux qui me conduisait devant des latrines de blaireaux ; j’ai remarqué que je regardais un pâturage avec les yeux d’un blaireau, le jugeant pour son potentiel en matière de vers de terre… (I saw I was following a badger path which led me past a badger latrine ; I noticed that I looked at a pasture through the eyes of a badger, judging it for its earthworm potential.)

Hans Kruuk, The social badger

 

04/08, 13°C, temps sec et chaud.

21h50, Vara est passée, je le sais, car je vois les feuilles bouger devant la gueule 3 et j’entends sa course qui fait comme une déflagration d’allumette qu’on embrase, mais c’est Courage que je vois débouler tranquillement par le haut sans avoir déclenché la caméra de l’esplanade, après quoi il trottine promptement sans s’arrêter au terrier et descend le toboggan. Prudence arrive tout de suite après, prend le temps de renifler le tronc des jeux de son enfance, puis gambade à son tour en descendant le toboggan.

Je les soupçonne de s’amuser à passer sans déclencher la caméra…

Plus sérieusement, je songe à cette sentence que j’ai lu tantôt dans l’Encyclopédie des carnivores de France (1988) : « La désintégration de la cellule familiale a lieu progressivement, à partir du mois de septembre ». Pour l’instant, le trio reste inséparable, mais le compte à rebours est peut-être enclenché (peut-être, car d’autres études suggèrent que dans un territoire où les blaireaux sont peu nombreux il est possible que parents et enfants restent longtemps ensemble dans les mêmes terriers, et il faut souligner qu’en cas de dispersion ce sont les adultes qui peuvent s’en aller – en matière de mélilogie, les modalités de dispersion des blaireaux font partie des plus épineux sujets…).

 

06/08, temps sec et très chaud, 16°C, 2h46

La caméra postée en lisière au bout de ce que je suppose être un « chemin à blaireau » enregistre le passage de l’un des blaireautins, qui farfouille museau au sol avant de laisser la place à un chevrillard, un chevreuil, deux marcassins, un renard… Sècheresse et canicule sont de nouveau sur nous. Les fumées des incendies canadiens reviennent s’accrocher aux Alpes pendant que celles de l’Aude sont emportées vers l’Algérie. Les ronciers cependant débordent de fruits savoureux, la nourriture ne manque pas et les blaireautins, qui ont presque atteint leur taille adulte, la cherchent efficacement…

Je m’engage sur cette sente que je n’avais curieusement jamais cherché à suivre jusqu’au bout, focalisé sur l’idée que les blaireaux devaient aller vers l’ouest, plus bas, côté Gelon. D’abord, la trace, bien visible, traverse le grand pré jusqu’au chemin, puis se fait plus intermittente dans le second pré parce que l’herbe y est plus rase, le sol plus sec. Je parviens jusqu’à une sorte de petit vallon creusé par le Nant de la Guire : l’endroit est frais, ombragé, pentu, idéal pour creuser un terrier, me dis-je , nonobstant la proximité de la route et des habitations. Je suis la trace jusqu’à l’eau, puis à quatre pattes dans les ronces… mais me voici à la route. Une coulée repart de l’autre côté. Il fait vraiment trop chaud pour poursuivre – et puis, on approche par là-bas d’un enclos de chiens de chasse dont je n’aime pas m’approcher et qui me semble propre à dissuader toute installation de blaireau.

Ce n’est que partie remise. Le compte à rebours du moment où, enfin, je découvrirai le grand terrier secret de la vallée, est lancé !

05/08/25

 

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