Pour les rêves et le souper
La fraîcheur est tombée d’un coup, puis les lourdes pluie et l’épais brouillard que l’on traverse le jour d’après, en funambule, un jour sans chasse où les bois ne sont plus parcourus en principe que par les bêtes plus ou moins inquiètes et les cueilleurs de champignons.
Au terrier du Villard, Vara a repris ses habitudes. Elle sort vers vingt heures par la gueule numéro 3 et revient à l’aube entre cinq et six heures. Je sais qu’au moins l’un de ses blaireautins est resté avec elle, et dort peut-être dans une autre chambre ou bien use en tout cas d’une autre entrée restée hors champ. Son retour n’a pas chassé les loirs, qui continuent à fréquenter le terrier dans lequel ils pénètrent par la gueule de l’esplanade.
Les pluies ont rendu la sente de Champ-Laurent encore un peu plus glissante. Un chevreuil adulte détale à mon approche, puis je grimpe tant bien que mal jusqu’à la caméra, récupère la carte et m’installe sur une corniche avec vue plongeante sur la falaise pour en déguster le contenu comme l’aigle sa proie. Plusieurs chamois sont passés, qui ont quitté les crêtes sans doute à cause des pluies violentes, et un cabri surtout est venu longuement renifler le piège et l’odeur que j’ai laissée et qui l’intrigue beaucoup. Il faut dire que cette sente est peu fréquentée par les humains, semble-t-il : depuis l’installation et l’ouverture de la chasse, un seul homme armé d’une carabine est passé dans un sens le matin, puis dans l’autre quelques heures plus tard, apparemment bredouille. Il y a eu un cycliste également, quand il faisait encore sec, un grand cerf, des sangliers, des martres mais toujours pas de blaireaux…
Soudain, le bruit d’une pierre qui tombe m’arrache à mes images et me révèle la présence de deux jeunes chamois qui ont quitté le couvert forestier et broutent à découvert au pied de la falaise. Ils font sans doute partie de ceux que le piège a filmé en noir et blanc, et que je peux donc voir à présent en direct et en couleur, toujours à leur insu.
Planqué derrière ses jumelles, animé par une pulsion scopique quasi pathologique, le naturaliste tout de même est un sacré voyeur ! Rien de scabreux pourtant dans ces images, à part la pente un peu vertigineuse. Les chamois sont occupés à leur cueillette, et si peu inquiets qu’ils ne prennent pas la peine de surveiller visuellement les alentours (mais leurs oreilles mobiles leur servent de radars).
Les derniers faisceaux du couchant charbonnent et peignent ici ou là de beaux aplats de couleurs chamoisées. Je rentre en effectuant un maximum de détours, le sac pleins de cèpes et la tête d’images ; les cèpes, seront pour le souper, les images pour les rêves.
22/09/25