Journal d’un méliphile, septembre 2025

 

L’espoir se confirme

 

 

Poussée à l’action par le temps qui passe et la goutte froide qui s’attarde sur le pays, Vara enfourne ses pelotes de feuilles à l’intérieur du terrier, un peu plus chaque nuit, pendant que je remets ma couette d’hiver et le chauffage dans la maison, tant pis, c’est un peu tôt, mais il fait vraiment froid.

Elle envoie valdinguer dans les airs les débris du passé, parmi lesquels ce crâne qui est probablement celui de l’un de ses propres petits et qui est posé à présent sur une étagère de mon bureau, je me souviens pour elle ; avant d’écrire je me lance dans le ménage de mon propre terrier, jetant discrètement certains vestiges de l’enfance de mes enfants qui encombrent, que diable, la maison et le cœur, il faut faire de la place.

Quand les blaireaux se retrouvent ils se serrent les uns contre les autres ; moi, je fais de même, longuement, quand je retrouve Rimski, Nouchka, Plume, Dana, Musique, toute ma tribu animale…

Je voudrais bien pousser plus loin ces correspondances entre nos vies pourtant si différentes. Avisant dans une flaque un superbe ver de terre, je me refuse à le croquer parce que je n’ai pas envie de le mettre à mort pour céder à un caprice méliphile, mais je peux en revanche très bien m’imaginer ce que cela ferait de le faire, de le mordre, de l’avaler, et les sensations qui me viennent alors sont indubitablement succulentes.

On passe à table. Le premier des épais spaghettonis achetés tout exprès pour pallier la regrettable absence de produits de substitution pour blaireaux végétariens, je le croque d’un coup de dent bien placé et l’aspire avec un bruit de succion et un gloussement de contentement qui me vaut la prévisible réprobation des autres convives de la maison. On me dit d’un ton lourd de reproche et même, semble-t-il, de dégoût (le ton que l’on emploie à l’égard du chat Plume quand il vient manger ou vomir un mulot sur le lit) : « Franchement, tu peux pas aller faire ça dehors ?… »

Dehors, d’accord, j’y retourne sans délai cueillir les gros cèpes qui poussent si nombreux cet automne que le panier en est très vite rempli, quelle aubaine, passer l’hiver sera bien plus facile ! Puis je relève les caméras et regagne ma tanière.

Litanie rassurante des gestes répétés : Courage sort du terrier à l’heure habituelle, 20h28, alors que Vara derrière lui est déjà en train de déblayer – j’ai vu sur place le résultat de ses derniers travaux, qu’elle-même semble contempler avec étonnement lorsque, parfois, elle s’arrête, se retourne et regarde le cône de déblais qui s’étale. C’est encore une nuit humide et fraîche, 7°C au plus, propice à ces travaux qui n’occupent que la première heure du soir, et aux festins qu’on imagine.

Vara et Courage sont partis, je n’ai pas vu Prudence (il n’est pas exclu que je confonde les deux ex-blaireautins, ni qu’ils soient mâles tous deux – l’avenir me le dira peut-être). Un loir s’attarde sur le terrier…

La nuit suivante l’emploi du temps est si semblable qu’il me faut vérifier soigneusement les dates pour ne pas confondre les images – chaque fois rassemblées en une unique séquence d’environ dix minutes, ce qui est, on en conviendra, peu de choses pour toute une nuit d’activité, mais qui occupe toutes mes soirées car mon enquête n’est pas close.

Voici Vara encore occupée à déblayer la gueule 3 pendant la première heure, puis le loir qui pénètre dans la gueule 1 après avoir effectué une petite danse devant la caméra. Un sanglier dont j’ai vu les traces dans la terre meuble des déblais s’affaire, et l’on entend ses grognements aigus.

Vara revient à 6h10 par le bas du terrier, pendant que la lumière s’éclaire sur l’esplanade – lumière invisible pour les blaireaux, mais pas pour la caméra. Vais-je enfin pouvoir visualiser sur une seule et même image mes trois compères ? À 6h11, « Oreille marquée » remonte le toboggan, puis contourne le grand épicéa au pied duquel se trouve la gueule 3 par la droite pour rejoindre l’esplanade. À 6h12 le deuxième blaireautin, Courage peut-être, remonte à son tour, marque à l’entrée du terrier, puis y pénètre. « Oreille marquée » redescend alors, contourne l’arbuste mort sur lequel les blaireautins naguère se frottaient et se faisaient les griffes. C’est à ce moment qu’ « Oreille marquée » surgit hors du terrier pour le rejoindre. Les voici qui heurtent leurs museaux, se donnent des coups de pattes, joutent, jouent ! Ils regagnent l’esplanade qui doit sentir le sanglier, et procèdent au rituel marquage fessier réciproque que je n’avais plus observé depuis des lustres. Ils sont de même taille, ils ont les mêmes gestes, et la même envie de jouer les reprend. Prudence pousse son frère du museau comme pour passer sous son ventre. Courage alors recule en la poussant avec ses fesses, puis ils se donnent à nouveau des coups de museau. L’un des deux bondit un peu pataudement, c’est le poids des mois qui se sont écoulés mon pauvre, et les jeux n’auront jamais plus la légèreté d’antan !

Je doute encore : ne serait-ce pas là le jeu d’un grand blaireautin retrouvant sa maman qui, complaisamment mais un peu mollement, accepte de le faire jouer ? Comment être vraiment sûr, puisque je ne les ai toujours pas vus tous les trois ensemble ? Pourquoi Vara ne se montre-t-elle pas ? Il est 6h14, dormirait-elle déjà ? La fin de la scène se déroule dans un coin obscur de l’image (car la caméra du bas bizarrement ne s’est pas déclenchée) : c’est une joute de museaux autour de l’arbuste de leur naissance – j’imagine mal la blairelle, que je n’ai d’ailleurs jamais vue jouer avec ses petits, se livrer à pareilles gamineries après une longue nuit de travail et de chasse.

Clap de fin à 6h24, la suite pour demain.

27/09/25

 

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