Des yeux partout
À bien y repenser, toute cette histoire de blaireaux n’a pas commencé lorsque j’ai retrouvé le terrier du Villard pendant une promenade avec Rimski et Nouchka, mais à la suite d’un affût au loup effectué avec mon fils Léo et Thibault Roni, bénévole de l’Observatoire des carvivores alpins et animateur nature, en octobre 2024. C’est Thibault qui m’a fait découvrir la caméra thermique et les pièges photographiques. Depuis, Élodie et moi avons rejoint l’Observatoire des carnivores alpins, avec lequel je vais partager mes suivis de blaireaux tout en pouvant puiser moi-même dans une importante banque de données brutes, et Thibault, fin connaisseur de nos lieux, nous a montré les endroits où passent les loups et où rôde le chat forestier (une chatte a eu ses petits non loin de la maison). Pour moi qui vis davantage dans les livres que les bois, c’est une aide formidable, presque une initiation.
Il y a quelques jours, je suis donc allé poser un nouveau piège photographique sur une sente où l’on soupçonne la présence du lynx (qui a fait une première incursion en Belledonne il y a quelques mois). L’éventualité d’apercevoir un lynx, un chat forestier ou un loup, que je n’ai encore jamais vu de visu contrairement à nombre d’habitants de la vallée, naturellement m’enthousiasme, mais je ne me disperse pas pour autant puisque sur cette sente passent aussi des blaireaux, dont j’ai repéré en contrebas un possible terrier périphérique. Bref, j’agrandis le champ de mes investigations, puisque de toute façon il ne se passe pas grand chose aux terriers.
La méliphilie qui, déjà, a chambardé mon emploi du temps et ma bibliothèque, mène décidément à tout – même à de minutieux travaux de bricolage qu’en principe je déteste. Placer des pièges photographiques bien apparents autour des terriers après avoir obtenu les autorisations nécessaires est une chose ; en placer sur des sentes empruntées non seulement par les bêtes mais aussi par les chasseurs (la date de l’ouverture approche) nécessite de se former à l’art du camouflage de caméra. Me voici donc embarqué dans la confection d’un cache en résine, merci au naturaliste inconnu qui a mis en ligne de précieux tutoriels. Là encore, cela suppose non seulement un peu de matériel et de technique, mais aussi un certain sens de l’observation et du rendu artistique, puisque le piège in fine doit s’intégrer à la souche mousseuse où je veux le placer sans être repéré même par un passant attentif (les pièges de Thibault, je ne les vois jamais).
Tout est prêt : les bandes médicales pour plâtre en résine, la mousse que j’ai fait sécher, le pistolet à colle chaude, la bombe de peinture, la bombe de colle froide, etc. Je tremble un peu en emmaillottant le piège, pense pouvoir m’y reprendre à deux fois et constate aussitôt que le temps de prise est trop bref, car l’eau dans laquelle j’ai plongé les bandes était trop chaude. Le fiasco est total. Je pique naturellement une de ces colères d’impuissance autistique qui, à la maison, ne font plus trembler que les vitres, remonte m’enfermer dans ma chambre comme un gosse en crise et puis, sitôt calmé, repars à l’assaut – car si je ne suis pas patient, je suis entêté au moins autant qu’un blaireau…
J’utilise cette fois le cache en plastique qui contenait la caméra Buschnell et que je ramollis au sèche-cheveux et peins en noir avant de la recouvrir de mousse. L’opération de découpe est longue et fastidieuse, mais le résultat final me semble satisfaisant. J’irai dès que possible récupérer la caméra laissée visible et placer celle-ci : cette étape décisive va me permettre à terme d’avoir des yeux partout.
03/09/25