Le terrassier de la nuit
Très confortablement installé devant le grand écran de ma chambre-bureau-bibliothèque en compagnie ce soir du chat Musique (les deux autres et les chiens dorment dans une autre partie du terrier), je visionne Le terrassier de la nuit de Robert Luques, documentaire qui, assez curieusement, m’avait échappé, alors qu’il est le seul à être disponible en français sous forme de DVD commercialisé depuis 2004 dans une collection qui s’intéresse à la faune ordinaire (seul le volume consacré au chat forestier est indisponible, si ce n’est auprès de l’auteur Loïc Coat qui doit m’envoyer une copie).
C’est un documentaire classique, officiellement daté de 1999 mais dont les images remontent probablement à la première moitié des années 80. Le commentaire, sobrement informatif, est livré en voix off sans que nul humain ne soit mis en avant et en scène, et le propos est exclusivement centré sur le blaireau. Passons très vite sur les défauts du genre, qui sont presque toujours les mêmes (mais auquel échappe totalement celui de Loïc Coat, ainsi que je le constaterai dans quelque temps) : cette volonté d’établir un fil narratif au moyen d’artifices inutiles. Une fois encore, un crâne tout propre a été abandonné devant le terrier (c’est à croire que les blaireaux en font une exposition), la bouteille de gaz censée illustrer la sinistre période où renards et blaireaux étaient gazés a soi-disant été expulsée du terrier par le blaireau, et même si le commentaire précise que le mâle est le plus souvent tenu à l’écart par la blairelle qui s’occupe de ses blaireautins, il est affirmé que ce dernier participe à l’entretien de la maison commune en faisant le ménage (c’est-à-dire, en terrassant) pendant que la femelle allaite. L’odieux déterrage est présenté comme une réponse aux petits méfais commis dans un potager, là encore par souci seulement de continuité narrative, et les images des chasseurs occupés à leur sinistre besogne, interrompues pour des raisons évidentes de décence, sont censées l’avoir été parce que les chasseurs se sont lassés et sont partis… Qui peut le croire ? La bande-son, naturellement trafiquée (si j’ose dire), fait entendre toujours le même oiseau à chaque plan d’ensemble sur la forêt, mais laisse la part belle aux cris et grognements des blaireaux. Musique et moi-même l’écoutons avec grand plaisir.
Car, ces réserves (que certains événements à venir me permettront de nuancer) étant faites, tout le reste est une merveille. Le réalisateur a filmé d’abord ce qu’on peut voir, ce que j’ai pu voir moi-même en avril, c’est-à-dire principalement deux blaireautins qui sortent du terrier, qui jouent, qui grandissent. L’un d’eux a été nommé Téméraire et l’autre Timide, tout comme j’ai moi-même nommé Prudence et Courage mes propres petits (enfin, ceux de Vara) plus de trente ans après, en une dichotomie souvent remarquée par les naturalistes. Ainsi m’est-il donné de revoir le meilleur et le plus touchant de ce que j’ai pu vivre avec les blaireaux.
Mais le film va plus loin. Il prend le temps de montrer les blaireaux dans leurs occupations ordinaires, avec un escargot, avec un hérisson, mangeant des limaces, des lombrics, des prunes, et je m’avise que c’est la première fois que je les vois vraiment faire : quand le blaireau museau au sol fourrage, il faudrait pouvoir adopter le point de vue du ver de terre pour voir exactement ce qu’il fait… Si le but ultime du documentaire naturaliste est de donner à voir l’invisible en s’effaçant, celui-ci est des plus réussis.
06/09/25