Journal d’un méliphile, octobre 2025

 

Une mare pour l’avenir

 

 

Entre deux averses et juste avant que le gros coup de vent automnal baptisé « tempête Benjamin » ne vienne chambouler un peu plus la météo, la petite équipe de la L.P.O. et les amis et volontaires du Villard et des alentours se pressent autour de la mare d’Élodie. Aujourd’hui, il s’agit de placer les différentes bâches et de monter la cuve qui recueillera le trop-plein et apportera de l’eau en période sèche pour assurer jusqu’au bout le succès des futures pontes des grenouilles. Le mouvement collectif qui s’est enclenché depuis l’an passé autour des grenouilles rousses de la gouille en contrebas, en cours de comblement et trop près de la route, fait plaisir à voir. Charly est venu avec son quad, et l’on salue les bienfaits de la mécanisation sans laquelle le travail eut été bien plus long et plus pénible. On s’affaire à creuser, à combler, à ratisser… de vrais blaireaux en somme.

Nathan, pas encore vingt ans mais déjà salarié à la L.P.O., connaît son affaire. Il connaît bien les blaireaux, aussi, puisqu’il est arrivé à l’observation naturaliste par les renards tout d’abord, puis par eux, qu’il suit depuis dix ans dans un même terrier du Vercors. Ils sont sept, maintenant, et quelle merveille, me dit-il, de voir les jeux des blaireautins auxquels parfois les adultes se mêlent ! Son témoignage me confirme, s’il en était encore besoin, à quel point le blaireau est une porte d’entrée vers un changement de regard. Charly, quant à lui, habitait autrefois une maison depuis laquelle il pouvait voir leur terrier, une maison idéale en somme, et voudrait bien venir en affût découvrir celui du Villard.

On devise et on pioche dans l’air doux et humide. Les rires n’empêchent pas un travail efficace, au contraire, et l’intérêt porté aux voisins non-humains rassemble aussi ce groupe humain que fraternellement nous formons.

Bientôt de grandes averses s’abattent en grondant sur notre mare artificielle qui commence à se remplir. Au terrier les blaireaux ont repris des horaires réguliers. Je les regarde passer l’un après l’autre leur fin museau par l’ouverture, hésiter, puis se presser sous la pluie. L’air est encore doux, la nourriture surabondante. Les mulots eux aussi plus que jamais s’activent, dont les yeux comme des lucioles dansent entre les gouttes, et tout ce petit peuple de la nuit avec eux : le renard, qui remonte le toboggan et renifle la gueule, les loirs qui y pénètrent, un jeune sanglier trempé, la hulotte qui profite d’une accalmie pour lancer son cri…

C’est un automne ordinaire, en somme — dieu que cet ordinaire rassure — où chacun prépare les saisons à venir.

24/10/25

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